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Original article

Tumeur du sac endolymphatique au niveau du rocher: à propos d’un cas

Tumeur du sac endolymphatique au niveau du rocher: à propos d’un cas

Endolymphatic sac tumor of the petrous temporal bone: about a case

Amine Kessab1,2,&, Safaa Rokhssi2,3, Meriem Rais1,2, Mohamed Anass Benbouzid2,3, Leila Esskalli2,3, Nadia Cherradi1,2

 

1Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Hôpital des Spécialités, CHU Rabat, Maroc, 2Mohamed V University, Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rabat (FMPR), Maroc, 3Service d’ORL et de Chirurgie Maxillo-faciale, Hôpital des Spécialités, CHU Rabat, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Amine Kessab, Service d’Anatomie et Cytologie Pathologiques, Hôpital des spécialités, CHU Rabat, Mohamed V University, Faculté de Médecine et de Pharmacie de Rabat (FMPR), Maroc

 

 

Résumé

La tumeur du sac endolymphatique est une tumeur neuroectodermique rare dérivée de l’oreille interne qui possède un faible potentiel de malignité mais avec un pouvoir d’agressivité locale très marqué sans notion de métastase. Il s’agit d’un patient de 60 ans qui a présenté des signes d’appel en faveur d’une atteinte de l’oreille interne accompagné de symptômes en faveur d’une atteinte de l’angle ponto cérébelleux. L’examen radiologique par IRM a montré un processus lésionnel envahissant la mastoïde et l’os temporal. L’examen anatomopathologique confirme la nature tumorale en précisant le type histologique par une étude immunohistochimique en retenant le diagnostic de tumeur sporadique du sac endolymphatique. Cette tumeur peut arriver à n’importe quel âge avec une moyenne de 52 ans pour les cas sporadiques. Sur le plan histologique on distingue deux entités: papillaire et folliculaire. Il faut éliminer les autres diagnostiques différentiels surtout les métastases du carcinome thyroïdien. La difficulté de la résection chirurgicale de ces tumeurs est due à leur vascularisation et à leur infiltration dans les os et les méninges. L'excision complète est la meilleure garantie contre la récidive tumorale.


English abstract

Endolymphatic sac tumor is a rare, low-grade, locally very aggressive neuroectodermic tumor arising in the inner ear, without metastatic potential. We here report the case of a 60-year old patient presenting with symptoms suggesting damage to the inner ear and other symptoms suggesting damage to the cerebellopontine angle. MRI showed lesion process extending through the mastoid and the temporal bone. The diagnosis of sporadic endolymphatic sac tumor was confirmed by anatomo-pathological examination while the histological type was determined by immunohistochemical study. Endolymphatic sac tumor can occur at any age with an average age at diagnosis of sporadic tumor type of 52 years. It is grouped into 2 major histologic types: papillary and follicular. It is essential to eliminate other differential diagnoses, especially metastases from thyroid carcinoma. Surgical resection may be difficult due to tumor vascularization and its extension through the bones and the meninges. Complete excision provides the best tumour control, preventing recurrence.

Key words: Endolymphatic, sporadic, pathology, pan-cytokeratin, surgery

 

 

Introduction    Down

La tumeur du sac endolymphatique est une tumeur très rare dérivée du sac endolymphatique, une partie de l'oreille interne située dans la duplication durale dans la fosse postérieure du crâne. Cette tumeur a un faible potentiel de malignité, localement agressive mais non métastatique [1]. Le premier cas a été décrit en 1984 par Hassard et al., et en 1989 Heffner a décrit 20 cas avec différentes morphologies [1]. La tumeur envahit les structures adjacentes surtout le tissu osseux particulièrement l'os temporel (le mastoïde, l'oreille interne et l'oreille moyenne) et l'angle ponto cérébelleux, y compris les nerfs crâniens.

 

 

Patient et observation Up    Down

Il s’agit d’un patient âgé de 60 ans, hypertendu depuis 2 ans, qui a présenté depuis 4 ans des céphalées temporales gauches associées à des otalgies suivies d’une otorrhée chronique rebelle aux traitements antibiotiques habituels devenue progressivement fétide avec hypoacousie, otorragie et des acouphènes homolatéraux sans vertige. Le patient a présenté depuis un an une paralysie faciale périphérique gauche avec rhinolalie, le tout évoluant dans un contexte d’apyrexie et d’amaigrissement. L’examen otologique retrouve un polype qui comble le conduit auditif externe gauche. L’examen clinique vestibulaire est sans anomalies. L’examen des paires crâniennes retrouve une paralysie faciale périphérique gauche associée à une paralysie de l’hémi-langue et de l’hémi-voile homolatéraux et une hypoesthésie dans le territoire du nerf V du même côté. L’audiogramme retrouve une surdité de transmission gauche. Le scanner du rocher a montré une lyse osseuse étendue de la mastoïde, du rocher gauche, de l’os occipital adjacent, du basi-occiput et du sinus latéral. Cette ostéolyse est associée à un comblement rehaussé après injection de produit de contraste des cellules mastoïdiennes, du conduit auditif externe sans lyse du mur de la logette ni de la chaine ossiculaire.

 

L’IRM du rocher montre un processus lésionnel en hypo-signal T1 inhomogène comportant des zones hyper-intenses en rapport avec de l’hémorragie très probable et en hyper-signal en T2 hétérogène après injection de gadolinium mesurant 7 cm de grand diamètre. Cette lésion détruit la pyramide pétreuse dans sa globalité avec perte de configuration du rocher. Elle s’étend à la fosse cérébrale postérieure, comblant les citernes de l’angle ponto cérébelleux homolatéral lysant le clivus. Ce processus engaine le sinus veineux latéral gauche, en haut il infiltre la tente du cervelet (Figure 1). Un fragment mesurant 05x0.3x0.1cm montrant un aspect blanchâtre étendu sur 0.2x0.2cm a été adressé à notre structure pour un examen extemporané. L’examen histologique du fragment communiqué a mis en évidence un revêtement malpighien surmontant un bourgeon charnu montrant par place des fentes bordées par une assise de cellules cubiques régulières évoquant le revêtement du sac endolymphatique. Suite à cette réponse, une mastoïdectomie superficielle a été réalisée avec biopsies profondes. L’exérèse chirurgicale a été impossible vu le caractère hémorragique de la tumeur et de son extension à la base du crâne et à la fosse cérébrale postérieure.

 

Les prélèvements reçus par notre structure sont fixés au formol puis examinés macroscopiquement avant d’être mis dans des blocs de paraffine. Les anticorps utilisés sont l’anti pan-cytokératine AE1/AE3, l’anti vimentine et l’anti PS100.

 

L’analyse pathologique

 

Le service d’anatomie pathologique a reçu une dizaine de fragments friables mesurant entre 0.5x0.5 et 0.2x0.2cm montrant un aspect blanc-grisâtre. Ils sont inclus en totalité dans des blocs de paraffine et examinés sur plusieurs niveaux de coupe. L’examen microscopique a montré une prolifération tumorale d’architecture papillaire (Figure 2). Les papilles sont bordées d’une assise de cellules cubiques munies de noyaux ronds, monomorphes de petite taille. L’axe parait fibro-inflammatoire richement vascularisé (Figure 3). Cette prolifération envahi le tissu osseux adjacent. Par ailleurs on note la présence de matériel fibrino-hémorragique.

 

L’étude immunohistochimique

 

Une étude immunohistochimique a été réalisée montrant une positivité marquée des anticorps anti-pan-cytokératine AE1/AE3 (Figure 4) et anti-vimentine (Figure 5) avec la négativité de l’anticorps anti-PS100. Le diagnostic de tumeur du sac endolymphatique dans sa forme papillaire, encore appelée tumeur papillaire agressive de l’os temporal et de l’oreille, a été retenu. Le patient a été adressé pour une éventuelle radiothérapie.

 

 

Discussion Up    Down

Les tumeurs de sac endolymphatique (ESLT) sont des tumeurs neuroectodermiques rares provenant de la partie intra-osseuse distale du sac endolymphatique. Autres termes ont été utilisées comme l’adénome du sac endolymphatique (ELS) et la tumeur papillaire agressive de l'os temporal [2]. Ces tumeurs sont décrites à tout âge, chez les enfants de 4 ans comme chez les vieux de 85 ans [3]. Le premier cas a été rapporté en 1984 mais c’est en 1989 que Heffner les a classés comme « adénocarcinome de bas grade du sac endolymphatique ». Le terme ELST a été retenu dans la classification des tumeurs de la tête et du cou de l'OMS en 2005 [4], moins de 100 cas ont été rapportés dans la littérature. L’origine de cette tumeur a resté durant plusieurs années comme un sujet de discussion, plusieurs auteurs ont mentionné la présence d’une relation avec l’épithélium mastoïde ou celui de l’oreille moyen [3]. Récemment des arguments anatomiques, morphologiques et immunohistochimiques sont apparus et qui montrent que cette tumeur dépend du sac endolymphatique [3]. ELST se voit habituellement de façon isolée mais également en association avec la maladie von Hippel-Lindau (VHL) qui est une maladie génétique rare causée par une mutation au niveau du chromosome 3 (3p25-26). L'âge moyen des patients avec des cas sporadiques est 52 ans, alors que chez les patients présentant la maladie de VHL, il est de 31 ans; femelle-mâle rapport est de 2: 1 chez les patients atteints de la maladie de VHL et 1: 1 chez les patients atteints de maladies non-VHL [5]. Les patients présentent sur le plan clinique une perte auditive unilatérale neurosensorielle, des acouphènes, des otalgies, une otorrhée, des vertiges, une ataxie, et des parésies du nerf facial, l'imagerie radiologique et le profil anatomopathologique sont essentiels pour la confirmation du diagnostic surtout devant la non spécificité des symptômes qui peuvent simuler ceux de la maladie de Ménière [4].

 

Sur le plan macroscopique, les ELST sont des tumeurs localement agressives, très vascularisées, mal circonscrites. Elles sont grossièrement décrites comme des lésions polypoïdes [5]. Sur le plan histologique, deux variantes sont décrites: papillaire et folliculaire. La variante papillaire se caractérise par la présence de cellules épithéliales cuboïdes basses disposées en saillies papillaires. Alors que la variante folliculaire est kystique avec des espaces qui contiennent du matériel protéinique rappelant l’aspect folliculaire de la thyroïde [5]. Les cellules tumorales présentent des aspects différents avec des atypies légères à modérées, de rares mitoses et absence de zones de nécrose. Le diagnostic différentiel de la tumeur du sac endolymphatique comprend d'autres lésions destructrices de l'os temporel tels que le paragangliome, le méningiome, l'hémangiopéricytome, et les métastases surtout les cancers thyroïdiens [6]. L’étude immunohistochimique permet de différencier les ELST de certaines entités décrites précédemment. Le sac endolymphatique est une structure d’origine neuroectodermique; par conséquent, les ELST sont cytokératine et vimentine positifs et la majorité seront S-100 positif [6]. L’élimination du diagnostic du paragangliome peut être facilitée par la négativité de la chromogranine [5]. Les tumeurs du plexus choroïde sont nettement transthyrétine positif, alors que les ELST sont négatifs, ils sont thyroglobuline négative, une fonctionnalité qui permet de les différencier des métastases des cancers de la thyroïde, mais le principal diagnostic différentiel reste la métastase d’un carcinome rénal à cellules claires qui est positif pour la vimentine et la pan-cytokératine et donc c’est la présence de la composante papillaire qui aide à poser le bon diagnostic [5].

 

En 2004, une analyse rétrospective de 149 d’ELST a conduit à un système de classification anatomique, le système de classement Bambakidis et Megerian pour ELST. Ce système de notation a également fournit des options de traitement chirurgical selon l'étendue de l'invasion de la tumeur et le statut d'audience [4]. L'examen par Bambakidis et ses collègues a démontré que l’ELST chez les patients atteints de la maladie de VHL tend à être diagnostiqué à un grade inférieur par rapport à des cas sporadiques (grade 1 40% vs 25%; grade II 50% vs 58%; grade III 8% vs 14%; grade IV 2% vs 4%) [5]. Ce grade inférieur au moment du diagnostic impose une utilisation accrue de l'imagerie intracrânienne, en particulier l'IRM, pour la surveillance des patients atteints de VHL maladie. Le diagnostic précoce sporadique ou VHL associée offre un plus grand potentiel pour la conservation et la guérison auditive [7]. La résection chirurgicale totale doit être envisagée dans tous les cas malgré le risque élevé de récidive surtout multifocale [7]. Les facteurs suivants doivent être pris en considération avant toute élimination complète d'une tumeur du sac endolymphatique étendue: I - la morbidité préopératoire existante; II- Le pronostic à long terme sans traitement ou avec une résection tumorale limitée, III- le taux de croissance et l'agressivité de la tumeur, IV- la probabilité de résection tumorale complète par rapport à la morbidité attendue liée à la procédure, V- l'état médical général et l'espérance de vie du patient [7]. Les résultats varient en fonction de la taille et l’extension de la tumeur [7]. La radiothérapie peut être indiquée soit en pré ou en postopératoire avec une dose de 50 à 60 Gy. Dans la série de Heffner 3 patients sur 4 ont présenté une récidive après un traitement par radiothérapie postopératoire [7]. Dans une série de 7 patients de Poletti et al, Seule une femme de 63 ans qui a reçu une irradiation a présenté une amélioration clinique [7].

 

 

Conclusion Up    Down

Les ELST restent des tumeurs rares qui doivent être recherché devant tout tableau clinique suspect surtout avec une déficience auditive ou chez les patients atteints d’une maladie de VHL. La difficulté de la résection chirurgicale de ces tumeurs est due à leur vascularisation et à l’infiltration des os et des méninges. L'excision complète est la meilleure garantie contre la récidive tumorale.

 

 

Conflits d’intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont contribué à la conduite de ce travail. Tous les auteurs déclarent également avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures Up    Down

Figure 1: A) processus lésionnel en hypo-signal T1 inhomogène comportant des zones hyper-intenses en rapport avec de l’hémorragie; B) en hyper-signal T2 hétérogène après injection de gadolinium

Figure 2: aspect histologique montrant l’architecture papillaire de la tumeur (coloration HE Gx200)

Figure 3: aspect histologique montrant les papilles bordées par des cellules cubiques à noyaux ronds (coloration HE Gx400)

Figure 4: image par technique immunohistochimique montrant la positivité de l’anticorps anti pan-cytokératine

Figure 5: image par technique immunohistochimique montrant la positivité de l’anticorps anti vimentine

 

 

Références Up    Down

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