Campagne de vaccination contre la rougeole en période de pic épidémique dans une zone à forte prévalence de malnutrition au Niger: cas du district sanitaire de Mirriah (Zinder)
Mahamadou Doutchi, Abdoul-Aziz Ould Mohamed, Sani Sayadi, Deo Sibongwere, Susan Shepherd, Oumarou Maidadji Nafissa Dan-Bouzoua,Moumouni Kinda, Ali Ouattara, Ibrahim Amadou Magagi, Harissou Adamou
Corresponding author: Harissou Adamou, Faculté des Sciences de la Santé, Université de Zinder, Hôpital National de Zinder, Niger
Received: 02 Feb 2017 - Accepted: 18 Jul 2017 - Published: 02 Aug 2017
Domain: Infectious diseases epidemiology
Keywords: Campagne de vaccination, rougeole, complications, malnutrition aiguë, district sanitaire de Mirriah
©Mahamadou Doutchi et al. Pan African Medical Journal (ISSN: 1937-8688). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Mahamadou Doutchi et al. Campagne de vaccination contre la rougeole en période de pic épidémique dans une zone à forte prévalence de malnutrition au Niger: cas du district sanitaire de Mirriah (Zinder). Pan African Medical Journal. 2017;27:240. [doi: 10.11604/pamj.2017.27.240.11881]
Available online at: https://www.panafrican-med-journal.com//content/article/27/240/full
Original article
Campagne de vaccination contre la rougeole en période de pic épidémique dans une zone à forte prévalence de malnutrition au Niger: cas du district sanitaire de Mirriah (Zinder)
Campagne de vaccination contre la rougeole en période de pic épidémique dans une zone à forte prévalence de malnutrition au Niger: cas du district sanitaire de Mirriah (Zinder)
Vaccination campaign against measles during the peak of the epidemic in an area with a high prevalence of malnutrition in Niger: a study conducted in the health district of Mirriah (Zinder)
Mahamadou Doutchi1,2, Abdoul-Aziz Ould Mohamed1, Sani Sayadi3, Deo Sibongwere1, Susan Shepherd1, Oumarou Maidadji3, Nafissa Dan-Bouzoua1, Moumouni Kinda1, Ali Ouattara1, Ibrahim Amadou Magagi3,4, Harissou Adamou2,3,4,&
1ONG ALIMA, Route de l'Aéroport, Dakar, Sénégal, 2Faculté des Sciences de la Santé, Université de Zinder, Hôpital National de Zinder, Niger, 3ONG BEFEN, Niamey, Niger, 4Hôpital National de Zinder, Niger
&Auteur correspondant
Harissou Adamou, Faculté des Sciences de la Santé, Université de Zinder, Hôpital National de Zinder, Niger
Introduction: la rougeole est une maladie virale hautement contagieuse. Nous rapportons les résultats de l’organisation de la campagne de vaccination couplée au dépistage de la malnutrition et décrivons les aspects épidémiologiques, cliniques et évolutifs des cas de rougeole compliquée hospitalisés à la pédiatrie de l’hôpital de district de Mirriah dans la région de Zinder, Niger.
Méthodes: il s’agit d’une étude descriptive transversale réalisée au cours d’une période de 3 mois allant de Février à Avril 2015. L’étude incluait les enfants vaccinés âgés de 6 à 59 mois et ceux qui était hospitalisés pour rougeole compliquée, âgés de 6 mois à 15 ans. Les variables étudiées étaient l’âge, le sexe, la couverture vaccinale, les manifestations cliniques, les cas de malnutrition aiguë, les caractéristiques épidémio-cliniques des patients hospitalisés et leur évolution. Les données étaient enregistrées et analysées avec les logiciels Excel et Epi-info7.
Résultats: les équipes ont vacciné 127296 enfants âgés de six mois à 5 ans pour une cible estimée à 132352 enfants soit un taux de couverture global de 96%. La tranche âgée de 12 à 59 mois représentait 78,56% des enfants vaccinés. Durant la période de l’étude, 198 cas de rougeole ont été admis à l’unité d’isolement du service de pédiatrie de l’hôpital de district de Mirriah. Le sexe masculin représentait 51 % (n = 101), soit un sex-ratio M/F de 1,04. L’âge médian des patients était de 3,5 ans (extrêmes de 6 mois et 15 ans). Sur le plan clinique, la fièvre et les éruptions cutanéomuqueuses étaient constantes. Ces signes étaient associés à une pneumopathie dans 69 % (n=69), à des troubles digestifs dans 29% (n = 57), à une malnutrition aigüe sévère dans 48 % des cas (n = 96). Nous avons enregistré 5 décès soit une mortalité globale de 2,52%. Elle était associée à la survenue de complications neurologiques (p < 0,0001).
Conclusion: les efforts rapides et énergiques déployés par le Ministère de la Santé Publique et les ONG BEFEN et ALIMA ont permis d’avoir une couverture vaccinale de 96% de la population cible et une faible mortalité au cours de cette épidémie de rougeole.
English abstract
Introduction: measles is a highly contagious viral disease. We here report the results of a vaccination campaign coupled with malnutrition screening and describe the epidemiological evolutionary and clinical features of patients with complicated measles hospitalized in the Department of Pediatrics at the hospital district of Mirriah in the region of Zinder, Niger. Methods: we conducted a cross-sectional, descriptive study during a 3-month period from February to April 2015. The study enrolled vaccinated children between 6-59 months and children between 6 months and 15 years of age hospitalized for complicated measles. The studied variables were: age, sex, rates of immunization coverage, clinical manifestations, detected cases of acute malnutrition, epidemio-clinical characteristics of hospitalized patients and their evolution. Data were recorded and analyzed with Excel software and Epi-Info7 software. Results: 127296 children aged six months-5 years were vaccinated. 132352 children were targeted to be immunized, reflecting a rate of 96%. Chidren within the age group 12-59 months accounted for 78,56% of vaccinated children. During the study period, 198 cases of measles were admitted to the segregation unit in the Department of Pediatrics at the district hospital of Mirriah. Male sex accounted for 51% (n=101), reflecting a sex-ratio M/F of 1.04. The average age of patients was 3.5 years (with a range from 6 months to 15 years). From a clinical point of view, fever and mucocutaneous eruptions were constant. These signs were associated with pneumopathy in 69% (n=69)of cases, digestive disorders in 29% (n=57)of cases, severe acute malnutrition in 48% of cases (n=96). 5 deaths were recorded, reflecting an overall mortality of 2.52%. They were related to the occurrence of neurological complications (p <0.0001). Conclusion: The rapid and strenuous efforts of the Ministry of Public Health and NGOs BEFEN and Alima allowed a 96% immunization coverage of the target population and to reduce mortality during this measles epidemic.
Key words: Vaccination campaign, measles, complications, acute malnutrition, health district of Mirriah
La rougeole est une maladie virale hautement contagieuse [1]. La vaccination contre cette affection a largement contribué à l’atteinte de l'objectif de développement du millénaire (OMD4) visant à réduire la mortalité des enfants de moins de 5 ans [1-3]. De 1990 à 2008, elle a permis de réduire de 23% la mortalité infantile mondiale [3-5]. En effet, bien que l’élimination de la rougeole ait été quasiment complète dans la région OMS des Amé¬riques depuis 2002 et soit en bonne voie dans la région du Pacifique occidental, certaines régions d’Afrique subsaharienne souffrent encore d’épidémies de grande ampleur, qui empêchent l’éradication de la maladie [6]. En 2011, 158 000 décès ont été recensés à travers le monde, la grande majorité sur-venant dans les pays à faibles ressources où la couverture vaccinale n’est pas suffisante, en particulier en Afrique [5,7]. Dans le cadre du programme élargi de vaccination (PEV) du Ministère de la Santé Publique (MSP), le Niger a adopté les recommandations de l’OMS qui visent la vaccination de tout enfant avant son premier anniversaire contre les principales maladies évitables dont la rougeole [8]. La première dose du vaccin contre la rougeole est recommandée à l’âge de neuf mois et la seconde dose entre 13 et 24 mois avec un délai d’au moins un mois entre les deux vaccinations [7,8]. Selon l’Enquête Démographique et de Santé et à Indicateurs Multiples (EDSN-MICS IV) 2012 du Niger, seulement 69 % des enfants de 12-23 mois étaient vaccinés contre la rougeole mais et 58% l’étaient avant l’âge de 12 mois [8]. La situation épidémiologique de la rougeole au Niger en 2015 est de plus en plus préoccupante comparativement à 2013 et 2014 [9]. En effet, au niveau national, 8121 cas de rougeole étaient notifiés en 2015 contre 1086 cas en 2014. Dans la région de Zinder, 3728 cas de rougeole était enregistrés en 2015 contre 217 cas en 2014 [9]. Le district sanitaire (DS) de Mirriah où les ONGs ALIMA et BEFEN mettent en œuvre des projets médicaux et nutritionnels était déclaré en épidémie par le ministère de la santé publique dès le mois janvier 2015. Le taux de malnutrition globale dans le district dépassait largement le seuil d’urgence (15 %), ce qui rendait les enfants encore plus vulnérables à la rougeole et à ses complications [8,10] Face à cette situation, les autorités sanitaires du district et leurs partenaires BEFEN/ALIMA ont menées une riposte sur plusieurs axes dont la mise en œuvre d’une campagne de vaccination contre la rougeole couplée à un dépistage de la malnutrition ainsi que la prise en charge des cas dans les centres de santé et en hospitalisations pour les cas compliqués. L’objectif de cette étude était de rapporter les résultats de l’organisation de la campagne de vaccination couplée au dépistage de la malnutrition et de décrire les aspects épidémiologiques, cliniques et évolutifs des cas de rougeole compliquée hospitalisés à la pédiatrie de l’hôpital de district de Mirriah.
Type d’étude et période d’étude
Il s’agissait d’une étude descriptive transversale réalisée au cours d’une période de 3 mois allant du 01/02/2015 au 31/04/2015.
Cadre d’étude
Le district sanitaire de Mirriah: le district sanitaire (DS) de Mirriah est situé dans la région de Zinder (centre-est du Niger). Il est composé d’un hôpital de district, et d’un réseau de 38 centres de santé intégrés (CSI) qui couvrent chacun une aire de santé d’une population variant entre 20000 et 70000 habitants. La population totale de ce district sanitaire est estimée à 1 121 792 habitants selon les projections du recensement général de la population et de l’habitat de 2012 (RGPH2012) [11].
Les Organisations non-gouvernementales (ONG) à but humanitaire BEFEN et ALIMA BEFEN: bien Etre de la femme et de l’enfant au Niger. ALIMA: the Alliance for international medical action. Ces ONGs en partenariat avec le district sanitaire ont organisé la campagne de vaccination contre la rougeole couplé au dépistage de la malnutrition ainsi que la prise en charge des cas compliqués au niveau du service de pédiatrie de l’hôpital de district de Mirriah.
Population d’étude
Tenant compte de la très faible quantité de vaccin anti rougeoleux (VAR) disponible dans le pays, la cible de l’intervention était limitée à la tranche d’âge de 6-59 mois, c’est également la tranche d’âge la plus touchée par l’épidémie mais aussi la plus vulnérable. Le choix des aires de santé à vacciner était basé sur les taux d’attaque. Les aires de santé dont les taux d’attaque étaient supérieurs à 1 ont été sélectionnées. Ainsi sur les 38 aires de santé qui composaient le district sanitaire de Mirriah, 15 ont été retenus (Bilmari, Diney, Dogo, Gada, Gafaty, Gouna, Guirari, Koleram, Mazamni, Mirriah, Takaya, Takieta, Tirmini, Toumnia et Zermou), soit une population de 640 000 habitants. La cible constituée d’enfants âgés de 6-59 mois est de 132 352 (20%). Les cas suspects étaient définis par la présence d’une fièvre et des éruptions cutanées. Ils étaient hospitalisés lorsqu’une complication était associée. A la différence de la campagne de vaccination, l’hospitalisation avait concerné les cas compliqués de rougeole âgés de 6 mois à 15 ans.
Variables étudiées
Les variables étudiées étaient l’âge, le sexe, le taux de couverture vaccinale, les manifestations cliniques, les cas de malnutrition aiguë dépistés, les caractéristiques épidémio-cliniques des patients hospitalisés et leur évolution.
Organisation et intervention
Une équipe de vaccination a été constituée pour mener l’activité depuis sa phase préparatoire jusqu’à la mise en œuvre. Cette équipe était composée des personnels de l’ONG ALIMA/BEFEN et du district sanitaire de Mirriah. L’estimation des besoins a été faite grâce aux outils MSF (Médecin Sans Frontière) de calcul des intrants de vaccination contre la rougeole. La campagne de vaccination qui a mobilisé 400 agents d’ALIMA/BEFEN et du ministère de la Santé a duré 7 jours. Au total 77 équipes ont été déployées selon 3 stratégies: 1) Stratégie fixe: 17 équipes (1 équipe est composée d’un vaccinateur, de deux préparateurs, d’un dépisteur de malnutrition par la mesure du périmètre brachial (PB) ou la détection des œdèmes, d’un enregistreur et d’un gestionnaire de foule). 2) Stratégie avancée: 29 équipes (1 équipe est composée d’un vaccinateur, d’un préparateur, d’un dépisteur de malnutrition, d’un enregistreur et d’un gestionnaire de foule). 3) Stratégies mobile: 31 équipes (un vaccinateur, un préparateur, un dépisteur de malnutrition).
En support aux équipes médicales, une équipe logistique dédiée à la campagne avait coordonné les activités logistiques : définition des moyens logistiques (équipements chaine de froid, petit outillage, consommables, transport : voitures, motos…), réception et gestion des vaccins et matériels médicaux de vaccination. Un kit logistique standard était prévu pour chacune des équipes pour l’installation d’un circuit de vaccination et les moyens nécessaires à son fonctionnement. La quantité de vaccin anti-rougeoleux (VAR) nécessaire pour répondre aux besoins de la population cible à vacciner était estimée à 158 484 doses (quantités réelles et prévisions des pertes).
Les déchets médicaux, essentiellement composés d’aiguilles et des flacons de vaccins étaient sécurisés dans les «safety boxes» au niveau des CSI et sur chacun des sites de vaccination. Ces boîtes étaient ensuite acheminées au DS ou elles étaient incinérées. Pour les besoins de mobilisation de la population, toutes les radios de la région ayant une bonne couverture ont été recensées et mises à contribution. Les crieurs publics ont également été associés à cette mobilisation sociale. Il faut souligner que la vaccination est gratuite et lors de la campagne, les agents rappellent que la rougeole peut être évitée grâce à un « vaccin sûr et efficace » qui, lors des vaccinations de routine, est administré à tous les enfants à partir de 9 mois.
Collecte des données
Dès le début de l’épidémie, un système de notification journalière des cas par message SMS a été mis en place sur les différentes aires de santé. Ces données étaient ensuite rassemblées et compilées au niveau du chargé de la surveillance épidémiologique du district (Figure 1). Pendant la campagne toutes les équipes remontaient les données au responsable de leur aire de santé de rattachement, ce dernier transmettait le même jour les données au chargé de la surveillance épidémiologique du district. Parallèlement à la campagne de vaccination les cas compliqués étaient prise en charge au niveau de l’unité d’isolement du district sanitaire de Mirriah, les autres cas de rougeole non compliqués étaient pris en charge au niveau des CSI. L’unité d’isolement a été ouverte le 20 Février 2015 pour l’hospitalisation des cas compliqués de rougeole. Elle était située dans le service de pédiatrie de l’hôpital de District de Mirriah. Cette unité avait une capacité de 20 lits.
Analyse des données
Les données étaient enregistrées dans le Logiciel Excel. Epi-info7 a été utilisé pour faire les associations avec le test de chi-2. Une valeur de p ?0,05 était considérée comme significative.
Durant la période d’étude, 127296 enfants ont été vaccinés, parmi lesquels on recensait 9858 cas de malnutrition aigüe.
Résultat de la vaccination contre la rougeole dans le DS Mirriah
Les équipes ont vacciné 127296 enfants âgés de six mois à 5 ans pour une cible estimée à 132352 enfants soit un taux de couverture global de 96,17%. La tranche âgée de 12 à 59 mois représentait 78,56% des enfants vaccinés (Tableau 1).
Caractéristiques des patients hospitalisés pour rougeole compliquée
Durant la période de l’étude, 198 cas de rougeole ont été admis à l’unité d’isolement du service de pédiatrie de l’hôpital de district de Mirriah. Le sexe masculin répresentait 51 % (n = 101), soit un sex-ratio M/F de 1,04. L’âge médian des patients était de 3,5 ans (extrêmes de 6 mois et 15 ans). Sur le plan clinique, la fièvre et les éruptions cutanéomuqueuses étaient constantes. Ces signes étaient associés à une pneumopathie dans 69 % (n=69), à des troubles digestifs dans 29% (n = 57), à une malnutrition aigüe sévère dans 48 % des cas (n = 96) (Tableau 2). La durée moyenne de l’hospitalisation était de 6,5 jours. Une prise en charge symptomatique des patients par des antipyrétiques, des antalgiques, des collyres antiseptiques, des corticoïdes, de l’oxygène, des anticonvulsivants, des antibiotiques à large spectre et de la vitaminothérapie « A » était faite. On avait enregistré 5 décès soit une mortalité globale de 2,52% (Tableau 3). Le pronostic était grevé la survenue de complications neurologiques (11 cas de convulsions dont 5 décès), p < 0,0001.Cette mortalité n’était pas liée au sexe (3 décès de sexe masculin contre 2 décès de sexe féminin), p = 0,68. Tous les décès sont survenus chez les enfants malnutris de moins de 05 ans. Tous les patients hospitalisés pour complications n’étaient pas vaccinés.
Résultat dépistage de la malnutrition aiguë globale (MAG)
La campagne de vaccination a été couplée à un dépistage de la malnutrition par la mesure du périmètre brachial (PB). Ainsi tous les enfants qui se sont présentés sur les sites de vaccination ont été systématiquement dépistés. Dans notre échantillon nous avons trouvé un taux de malnutrition aigüe globale (malnutrition aigüe globale = malnutrition aigüe sévère (PB rouge et/ou œdèmes) + malnutrition aigüe modérée (PB jaune)) de 8,7% dont 1,8% de malnutrition aigüe sévère (MAS). Le Tableau 4 présente les résultats du dépistage de la MAG.
La réduction de la mortalité due à la rougeole a contribué sensiblement à la réduction de la mortalité globale chez les enfants de moins de cinq ans entre 1990 et 2008 [3, 5, 12]. La rougeole représentait environ 7% des décès en 1990 et 1% en 2008, soit 23% de la réduction mondiale de la mortalité toutes causes confondues dans ce groupe d'âge de 1990 à 2008 [3]. Au Niger, les problèmes d’accessibilité aux soins, les ruptures de vaccins et de la chaine de froid expliquent les faibles taux de couverture vaccinale contre la rougeole et conséquemment les recrudescences des foyers d’épidémies. En plus, notre zone d’étude présente dans la même période un taux de malnutrition aiguë globale autour de 20% dépassant largement les seuils d’urgence [8]. Notre cible était limité aux enfants de moins de 5 ans parce que c’était la tranche d’âge la plus touchée; ce qui correspond aux données de la littérature [1, 2, 13, 14]. En effet dans les pays en développement la rougeole touche en prédilection les enfants de moins de 5 ans [15].
Au cours de notre étude127 296 enfants âgés de 6 mois à 5 ans ont été vaccinés pour une cible estimée à 132352 soit un taux de couverture de 96%. Il y’a cependant des disparités entre les tranches d’âge, un taux de couverture de 174,6% dans la tranche d’âge 6-11mois contre 86% de couverture dans la tranche de 12-59 mois. Ces disparités s’expliquent par la non-maitrise des effectifs réels de population par tranche d’âge dans le district.
En population générale au Niger, la couverture vaccinale varie autour de 71% à 24 mois (pour au moins une dose) [8]. Dans la région de Zinder elle était de 61,2%. Cette couverture vaccinale devrait être de 95 % pour la première dose et 80 % pour la deuxième dose pour permettre l’arrêt de la circulation du virus [16]. Au-dessus de ce seuil, tous les individus, qu’ils soient vaccinés ou non, sont protégés par l’immunité de groupe (herd immunity en anglais), qui permet d’interrompre la chaîne de trans¬mission grâce à l’immunité acquise par les personnes vaccinées [2, 4, 5, 7, 14, 16]. En revanche, quand la couverture vaccinale est insuffisante, un nombre croissant de sujets non immunisés s’accumule, conduisant à la réapparition de cas isolés, voire de véritables épidémies y compris dans des pays où la maladie semblait contrôlée depuis plusieurs années [1, 5, 14, 17, 18].
Dans une étude sur la mortalité due à la rougeole au cours de 3 épidémies en Afrique subsaharienne incluant 3 pays dont le Niger, le Nigéria et le Tchad, les auteurs avaient conclu à une mortalité inacceptable par suite d'une maladie totalement évitable [12]. Si les succès des stratégies de réduction de la mortalité due à la rougeole et les progrès observés dans le contrôle de la rougeole dans d'autres pays de la région sont louables et évidents, ils ne doivent pas faire oublier la nécessité d'intensifier les efforts dans les pays qui viennent de commencer à mettre en œuvre la stratégie globale OMS / UNICEF [12].
L'Objectif de Développement du Millénaire 4 (OMD 4) est de réduire de deux tiers le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans, entre 1990 et 2015 [3, 5, 15]. En 2012, les données montrent que le Niger a réalisé des réductions beaucoup plus importantes de la mortalité infantile et des interventions en matière de survie de l'enfant que les pays voisins de l'Afrique de l'Ouest [17]. Même si des épidémies de rougeoles sont enregistrées au Niger, la couverture vaccinale s’est améliorée au cours des dernières années avec l’intensification des campagnes de vaccination, ce qui a permis d’enregistrer une baisse sensible de la mortalité des enfants de moins de cinq ans [10,17]. La région de Zinder est frontalière avec la région de Diffa à l’Est et le Nigéria au sud. Les évènements sécuritaires ayant entrainé un mouvement massif des populations pourraient être une des raisons expliquant la recrudescence des épidémies de la rougeole dans la région de Zinder.
Sur le plan clinique en plus de la fièvre et des éruptions cutanées, les principaux motifs d’hospitalisation sont les pneumopathies (69%) la malnutrition aigüe sévère (48%) et les troubles digestifs (29%). Ces résultats sont similaires à ceux déjà observés par d’autres auteurs qui ont constaté que les troubles respiratoires étaient en tête des symptômes qui motivent la référence [18,19].
Dans notre étude nous avons eu 5 décès, tous liés à des complications neurologiques à type de convulsions chez des enfants atteint de malnutrition aigüe sévère. Cela concorde avec les résultats de Mahamud et al [20] qui dans une étude récente retrouvaient une forte association entre la mortalité liée à la rougeole, la survenue de complications neurologiques et la malnutrition [20]. L’association entre les complications neurologiques et la mortalité par rougeole a été aussi mise en évidence lors d’une importante épidémie de rougeole survenue dans un camp de réfugiés [21]. Le lien entre la mortalité liée à la rougeole et la malnutrition est également reconnu particulièrement lorsqu’il y’a une carence en vitamine A [22].
Le dépistage de la malnutrition a permis de détecter (8,7%) enfants malnutris parmi les 127 296 enfants vaccinés. En plus 48% des enfants hospitalisés souffraient de MAS. Plusieurs auteurs ont déjà décrit les liens entre malnutrition et maladie infectieuse [1, 23]. Kelsey et al [23] ont démontré que la MAS augmentait la sévérité et la gravité des maladies infectieuses. Ainsi la mortalité chez les enfants malnutris était fortement associée à la survenue d’un épisode infectieux [23]. Des travaux sur modèle animal ont montré le rôle de la vitamine A dans la synthèse de certains médiateurs de l’immunité [24]. L’OMS recommande que les enfants malnutris souffrant de rougeole soient considérés comme des cas compliqués de rougeole et qu’ils soient hospitalisés et traités comme tels [23].
La plupart des évaluations d’efficacité vaccinale ont été faite sur des populations normo-nourris cependant, dans bien des cas la vaccination anti rougeoleuse est effectuée sur des populations à forte prévalence de la malnutrition chez lesquelles on pourrait suggérer que la réponse vaccinale soit inférieure à celle obtenue sur des populations non malnutries. Dans une étude récente sur les facteurs influençant la réponse vaccinale, Hoest et al [25] n’ont pas pu montrer de lien significatif entre le degré de malnutrition et la réponse vaccinale cependant la question mérite d’être explorée [25].
La rougeole est une maladie très contagieuse qui pose encore un problème majeure de santé publique dans nos milieux. Les pics épidémiques sont fréquents ces dernières années au Niger. Dans le district sanitaire de Mirriah, les efforts rapides et énergiques déployés par le Ministère de la Santé Publique et les ONG BEFEN et ALIMA ont permis d’avoir une couverture vaccinale de 96% de la population cible et de réduire la mortalité au cours cette épidémie. Cette campagne de vaccination a permis également le dépistage et le traitement des cas de malnutrition aiguë dans le district sanitaire de Mirriah.
Etat des connaissances actuelles sur le sujet
- La rougeole est une affection qui demeure un sérieux problème de santé publique en Afrique subsaharienne;
- La réduction de la mortalité due à la rougeole par une bonne couverture vaccinale contribue à réduire la mortalité chez les enfants de moins de 5 ans;
- Malgré les efforts des programmes élargis de vaccination, des pics épidémiques entrainant des décès chez les enfants sont encore enregistrés dans des pays comme le Niger.
Contribution de notre étude à la connaissance
- L’organisation d’une campagne de vaccination de masse est nécessaire en période d’épidémie de rougeole. Dans le district sanitaire de Mirriah (région de Zinder), Niger, elle a permis de vacciner plus de 127.000 enfants de 6 à 59 mois soit 96% de la population cible;
- La malnutrition et les manifestations neurologiques constituent les éléments de mauvais pronostic en cas de rougeole;
- Les campagnes de vaccination de masse couplée au dépistage de la malnutrition a permis d’identifier les cas d’enfants malnutris qui nécessitent une prise en charge en centre de récupération nutritionnelle.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'interêt.
Tous les auteurs ont participé à l’élaboration, la recherche bibliographique de ce manuscrit. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale de ce travail.
A tout le personnel des ONGs BEFEN-ALIMA, au district sanitaire de Mirriah.
Tableau 1: résultats de la campagne de vaccination par tranche d’âge
Tableau 2: répartition des cas selon les caractéristiques cliniques et épidémiologiques des patients hospitalisés (n=198)
Tableau 3: caractéristique cliniques et évolutives selon la tranche d’âge (n=198)
Tableau 4: dépistage de la malnutrition
Figure 1: évolution des cas de rougeole par semaine à Mirriah en 2015
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