Facteurs influençant la perte de vue et la mortalité chez les personnes vivant avec le VIH suivies au Centre de Traitement Ambulatoire de Koula-Moutou (Gabon) de 2005 à 2015
Arnaud Mongo-Delis, Patrick Mickala, Landry Erik Mombo, Wilfried Schobert Bouedy, Jean-Charles Etho Mengue, Guy-Landry Itsonoganga, Léonce Parfait Alompie, Gerda Bitombo, Cyrille Bisseye
Corresponding author: Cyrille Bisseye, Laboratoire de Biologie Moléculaire et Cellulaire (LABMC), Université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM), BP 943, Franceville, Gabon
Received: 25 Apr 2016 - Accepted: 04 Jun 2016 - Published: 07 Jul 2016
Domain: Other
Keywords: VIH, suivi clinique, antirétroviraux, perdus de vue, mortalité, Koula-Moutou
©Arnaud Mongo-Delis et al. Pan African Medical Journal (ISSN: 1937-8688). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Arnaud Mongo-Delis et al. Facteurs influençant la perte de vue et la mortalité chez les personnes vivant avec le VIH suivies au Centre de Traitement Ambulatoire de Koula-Moutou (Gabon) de 2005 à 2015. Pan African Medical Journal. 2016;24:198. [doi: 10.11604/pamj.2016.24.198.9708]
Available online at: https://www.panafrican-med-journal.com//content/article/24/198/full
Original article
Facteurs influençant la perte de vue et la mortalité chez les personnes vivant avec le VIH suivies au Centre de Traitement Ambulatoire de Koula-Moutou (Gabon) de 2005 à 2015
Facteurs influençant la perte de vue et la mortalité chez les personnes vivant avec le VIH suivies au Centre de Traitement Ambulatoire de Koula-Moutou (Gabon) de 2005 à 2015
Factors affecting visual loss and mortality among people living with HIV and treated at the Outpatient Treatment Center of Koula-Moutou (Gabon) from 2005 to 2015
Arnaud Mongo-Delis1, Patrick Mickala2, Landry Erik Mombo2, Wilfried Schobert Bouedy1, Jean-Charles Etho Mengue1, Guy-Landry Itsonoganga1, Léonce Parfait Alompie1, Gerda Bitombo1, Cyrille Bisseye2,&
1Centre de Traitement Ambulatoire VIH/SIDA de Koula-Moutou (CTA Koula-Moutou), Koula-Moutou, Gabon, 2Laboratoire de Biologie Moléculaire et Cellulaire (LABMC), Université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM), BP 943, Franceville, Gabon
&Auteur correspondant
Cyrille Bisseye, Laboratoire de Biologie Moléculaire et Cellulaire (LABMC), Université des Sciences et Techniques de Masuku (USTM), BP 943, Franceville, Gabon
Introduction: cette étude avait pour but principal d'évaluer les facteurs biologiques et cliniques associés aux pertes de vue et à la mortalité des patients suivis au Centre de Traitement Ambulatoire VIH/SIDA (CTA) de Koula-Moutou.
Méthodes: de 2005 à 2015, 1268 patients ont été suivis au CTA. Le diagnostic sérologique du VIH et le comptage des cellules T CD4 ont été réalisés respectivement par les kits commerciaux Determine, SD Bioline, Immunocombs et par les réactifs FACS Count.
Résultats: la majorité des patients suivis était de sexe féminin (66,8%) et recevait un traitement antirétroviral (TAR) de 1ere ligne (63,3%). Les pertes de vue et la mortalité a concerné respectivement 33,5% et 24,6% des patients. La perte de vue était significativement associée à l'absence de prise du TAR (p<0,001) et à un taux de CD4>500 cellules/mm3 à l'inclusion (p<0,001). La mortalité était plus élevée chez les hommes que chez les femmes (p=0,006). Elle était significativement réduite chez les patients en 1ere ligne du TAR (p=0,003) et ceux ayant un taux de CD4>500 cellules/mm3 à l'inclusion (p<0,001). La mortalité des patients très élevée à l'ouverture du CTA en 2005, a connu une réduction significative entre 2013 et 2015, passant de 4,8% à 1,6% (p<0,001).
Conclusion: cette étude décrit l'épidémiologie du VIH dans une zone rurale du Gabon. Elle donne les causes des pertes de vue et de la mortalité des patients suivis dans un des dix (10) CTA du pays.
English abstract
Introduction: this study aimed primarily to evaluate the biological and clinical factors associated with visual loss and mortality in patients treated at the Outpatient Treatment Center HIV / AIDS (CTA) of Koula-Moutou. Methods: from 2005 to 2015, 1268 patients were treated at OTC. Serological diagnosis of HIV and CD4 T-cell count was determined using Determine, SD Bioline, Immunocombs commercial kits and FACS Count Reagents respectively. Results: the majority of patients treated were female (66.8%) and underwent first line antiretroviral therapy (ART) (63.3%). Vision loss and mortality affected 33.5% and 24.6% of patients respectively. Vision loss was significantly associated with the failure to take ART (p < 0.001) and CD4 cell count<500 cells/mm3 at baseline (p<0.001). Mortality was higher in men than in women (p = 0.006). It was significantly reduced in patients on first line ART (p = 0.003) and in those with CD4 cell count > 500 cells / mm3 at baseline (p<0.001). The mortality of patients was very high at the opening of the OTC in 2005, but has experienced a significant reduction between 2013 and 2015 from 4.8% to 1.6% (p< 0.001). Conclusion: this study describes the epidemiology of HIV in a rural area of Gabon. It higlights the causes of vision loss and mortality in patients treated in one of the ten (10) OTC in the country.
Key words: HIV, clinical monitoring, antiretrovirals, vision loss, mortality, Koula-Moutou
Les données sur l'infection par les virus de l'immunodéficience humaine (VIH) dans le monde montrent à la fin de l'année 2013, que 35 millions de personnes en étaient infectées et que 28 millions étaient éligibles pour une prise en charge par traitement antirétroviral (TAR) [1]. Dans les pays à bas revenu et à revenu intermédiaire, sur les 32,6 millions de personnes infectés par le VIH en 2013, seulement 11,7 millions avaient reçu un TAR [1]. Ces données fournies par l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à travers son programme ONUSIDA font état d'une épidémie enfin marquée par une prévalence désormais en décroissance notamment dans la population active et une prise en charge hétéroclite par le TAR. Cette prise en charge demeure globalement insuffisante car déjà en 2010 le taux de couverture du TAR était de 30% en Afrique Centrale et de l'Ouest [1]. Les efforts de l'OMS en 2003 avec l'initiative «Treating 3 millions by 2005» (3-by-5), en 2006 avec le programme «Towards universal access» et l'adoption d'une politique de gratuité des soins et des TAR, ont permis d'enclencher une progression de la prise en charge [2].
L'épidémiologie du VIH en Afrique est documentée de manière parcellaire entre les régions urbaines et rurales. Au Gabon, les données épidémiologiques disponibles le sont en zone urbaine (6% de prévalence) [3]. Les données sont donc extrapolées en zone rurale compte tenu du fait que les caractéristiques génétiques de l'infection par les VIH en termes d'hôte sont généralement les mêmes [4]. Les données sur l'épidémie en 2013 indiquaient 40616 personnes (adultes et enfants) vivant avec le VIH au Gabon et 35805 étant éligibles au traitement dont 19955 effectivement sous TAR [5]. Le centre de traitement ambulatoire (CTA) VIH/SIDA de Koula-Moutou est situé dans une région rurale à l'Est du Gabon (province de l'Ogooué-Lolo). Comme tous les autres CTA existant dans chaque province du Gabon, il est un site de prise en charge globale de personnes vivant avec le VIH (PVVIH). Cette étude avait comme objectifs: i) de faire une description sociobiologique de l'épidémie à VIH dans une région rurale à l'Est du Gabon, ii) d'évaluer les facteurs biologiques et cliniques associés aux perdus de vue et à la mortalité des patients suivis au CTA de Koula-Moutou.
Patients: il s'agit d'une étude rétrospective couvrant la période d'octobre 2005 à décembre 2015. Elle a concerné 1268 patients ayant été suivis au CTA de Koula-Moutou (province de l'Ogooué-Lolo, région Est du Gabon, Afrique Centrale). Les patients répondant aux critères ci-après ont été retenus dans l'étude: une infection confirmée pour le VIH-1 et/ou VIH-2, un suivi régulier au CTA de Koula-Moutou et le consentement éclairé dûment signé du patient. Les patients provenaient des 4 départements que compte la province de l'Ogooué-Lolo à savoir: Lolo-Bouenguidi, Lombo-Bouenguidi, Mulundu et Offoué-Onoye; mais aussi des régions environnantes et plus lointaines.
Sérologie VIH: la sérologie VIH des patients a été déterminée par deux tests rapides: Determine (Abbott Laboratories, USA) et SD Bioline (Standard Diagnostics, Inc., Corée du sud). Lorsque les résultats des deux tests étaient discordants chez un patient, la sérologie VIH était confirmée par le test Immunocombs (ImmunocombII HIV-1&2 Bispot, Orgenics, Yavne, Israël). Les enfants nés de mères séropositives ont été orientés vers d'autres structures hospitalières pour le diagnostic précoce du VIH.
Numération des lymphocytes T CD4 des patients: le comptage des cellules T CD4 des patients a été effectué en utilisant les réactifs FACS Count (Becton Dickinson, San Jose, CA, USA) en suivant les recommandations du fabricant. Brièvement, le sang total du patient a été homogénéisé, 50 μL y ont été prélevés et mis dans des tubes contenant la paire d'anticorps monoclonaux anti-CD4 et anti-CD8. Les tubes ont été placés à l'obscurité pendant une heure pour incubation. Après l'incubation, 50 µL de solution de fixation ont été ajoutés dans chaque tube. Après une agitation au vortex, les échantillons ont été analysés avec le système FACS COUNT.
Traitement antirétroviral: les critères d'éligibilité et l'initiation au TAR des patients ont été conformes aux recommandations de l'Organisation Mondiale de la Santé de 2006, 2010 et 2013 [6-8] et les nouvelles directives nationales [5]. Le traitement consistait en l'association de deux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) et un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI), dénommée HAART (Highly Active Antiretroviral Therapy).
Caractéristiques socio-cliniques des patients de 2005 à 2015
Au total 1268 patients ont été suivis au CTA de Koula-Moutou de 2005 à 2015. La majorité des patients suivis était de sexe féminin avec 66,8%. Les tranches d'âge 36-45 et 46-55 ans étaient les plus fréquences avec respectivement 29,3% et 23,9%. Avec 3,9% des patients, la tranche d'âge 0-14 ans était la moins fréquente. Au total 415 (33,4%) patients n'avaient pas reçu de TAR contre 826 (66,6%) qui étaient sous HAART (Tableau 1). La majorité des patients sous TAR recevaient un traitement de 1ere ligne soit 63,3% et 3,3% étaient en 2nde ligne. Les taux initiaux des CD4 des patients à l'inclusion au CTA ont permis de les classer en trois groupes cliniques. Les patients avec des taux de CD4<200 cellules/mm3 et entre 220-499 cellules/mm3, étaient respectivement de 32,5% et 36,6%. Près d'un tiers des patients à l'inclusion au CTA avait un taux de CD4 >500 cellules/mm3 soit 30,9%. La majorité des patients étaient sous cotrimoxazole soit 63,1%. Les pertes de vue et la mortalité ont concerné respectivement 33,5% et 24,6% des patients suivis au CTA. Le nombre de patients inclus au CTA a été variable de 2005 à 2015. Les nombres de patients inclus les moins et les plus élevé sont été observés respectivement en 2005 avec 31 patients (2,4%) et en 2006 soit 168 patients (13,2%). La plus grande part des patients provenaient des départements de la Lolo-Bouenguidi avec 51,4% et de Mulundu (33%).Les patients des autres départements étaient les moins représentés avec 2,9% et 7,2%, respectivement (Tableau 1).
Facteurs influençant la perte de vue des patients
La perte de vue des patients n'était associée ni au sexe ni à l'âge des patients. Elle n'était pas aussi associée au lieu de résidence des patients (Tableau 2). Les patients non traités représentaient plus de la moitié des perdus de vue avec 56,3%. La perte de vue des patients était significativement associée à l'absence de prise du TAR (p<0,001) et de tout autre traitement comme le cotrimoxazole (p<0,001) mais aussi à un taux de CD4>500 cellules/mm3 à l'inclusion (p<0,001). Les pertes de vue ont été variables de 2005 en 2015. Elles ont connu deux pics en 2006 (15,3%) et en 2013 (18%). Elles ont significativement diminué en 2014 (p<0,001) et en 2015 (p<0,001) comparativement à leur niveau de 2013 (Tableau 3).
Facteurs influençant la mortalité des patients
Entre 2005 et 2015, 312 patients sont décédés pendant leur suivi clinique ce qui fait un taux de mortalité de 24,6%. La mortalité était associée au sexe des patients. Elle était significativement plus élevée chez les hommes que chez les femmes (p=0,006). La mortalité n'était pas uniformément distribuée selon les tranches d'âge. Elle était réduite chez les patients âgés de 15-25 ans (p=0,043) et de 26-35 ans (p<0,001) (Tableau 2). Par contre, la mortalité était plus élevée chez les patients âgés de plus de 55 ans (p=0,006), chez ceux ne prenant pas le TAR (p=0,006), chez ceux prenant le cotrimoxazole (p<10-6) et chez les patients avec un taux de CD4 <200 cellules/mm3en début du TAR (p<0,001). Elle était significativement réduite chez les patients en 1ere ligne du TAR (p=0,003) et ceux ayant été un taux de CD4 >500 cellules/mm3 au début du suivi clinique au CTA (p<0,001). La mortalité observée a été plus importante chez les patients du département de la Lolo-Bouenguidi (p=0,046) et ceux venant des régions environnantes (p=0,019) (Tableau 2). La mortalité a été significativement élevée chez les patients suivis en 2005 (p<0,001), en 2006 (p=0,009) et en 2007 (p=0,006). Elle a été stabilisée entre 2008 et 2012. Elle a connu une réduction significative entre 2013 et 2015, passant de 4,8% à 1,6% (p<0,001) chez les patients suivis (Tableau 3).
Notre étude apporte des données en zone rurale sur les caractères socio-cliniques des patients suivis pendant une décade. Le taux de mortalité et surtout celui de perdus de vue, observés de manière accrue, sont analysés pour définir un « portrait-robot » de ceux-ci. Les femmes, dans notre étude comme dans celle réalisée en zone urbaine (Libreville) au Gabon, sont majoritaires compte tenu notamment du dépistage obligatoire chez les femmes enceintes [9]. Cette constante est aussi retrouvée dans d'autres études en Afrique sub-saharienne notamment en Ouganda [10], au Cameroun [11] et au Mali [12]. La féminisation de l'épidémie est expliquée par le fait du programme PTME et son corollaire intégralement délivrés au CTA, de la faible prévalence du VIH chez les hommes comparativement aux femmes et de comportements culturels comme la stigmatisation de la femme par l'homme.
Les quadragénaires constituent la tranche d'âge la plus représentée chez les patients suivis au CTA en zone rurale comme c'est le cas aussi en zone urbaine gabonaise dans l'étude d'Okome Nkoumou et al [9]. Cette caractéristique, valable en zones rurale et urbaine, dénote d'une meilleure autonomie financière et d'une meilleure sensibilisation chez eux par rapport aux élèves et étudiants qui demeurent les plus nombreux dans la population générale gabonaise. Une étude réalisée en zones rurales au Nigeria note d'ailleurs une initiation au TAR non tardive pour les patients ayant une activité salariale donc une autonomie financière [13].
Sur les 2/3 de patients sous TAR, 95% recevaient une combinaison médicamenteuse de 1ère ligne, laissant présager un taux faible de souches VIH résistantes. En effet, une étude réalisée dans une région proche au sud-est du Gabon en 2008 chez des travailleurs de mines de manganèse, montre une diversité de souches virales avec un variant CRF02AG majoritaire mais aucune mutation spécifique de la résistance aux antirétroviraux [14]. Un tiers seulement de patients (32,5%) a initié le TAR avec un taux de CD4 <200 cellules/mm3, ce qui est un ratio au pronostic favorable par rapport aux études réalisées en Afrique de l'Ouest où le taux varie entre 54-63,5% [15]. En effet, une étude récente réalisée en zones rurales nigérianes révèle un taux de 63,7% de patients ayant un taux de CD4 <200 cellules/mm3 parmi ceux ayant initié le TAR [13]. Le taux de CD4 à l'initiation du TAR a été défini comme un facteur prédictif important de la progression de la maladie et de la survie des patients sous TAR [16, 17]. Ce taux informe aussi sur la réalité du diagnostic car près d'un tiers de patients présente un taux de CD4 >500 cellules/mm3 dans notre étude, montrant qu'ils ont été diagnostiqués sans symptômes apparents (c'est-à-dire volontairement). Si en 2005 peu de patients ont intégré le CTA et qu'en 2006, ce fut le plus fort effectif, c'est probablement pour des raisons d'implantation du CTA. En effet, le CTA ayant ouvert en 2005, il a fallu près d'une année pour voir les résultats de la campagne publicitaire avec un fort taux d'inclusion des patients en 2006. Le département d'implantation du centre a généré le plus de patients dans notre étude, en phase avec les difficultés de déplacement dans la province (absence de transport public et voies routières peu entretenues). Un tiers des patients de notre étude ont été perdus de vue, c'est un taux très élevé, prouvant à souhait l'importance de cette déperdition comparativement à d'autres études, au Cameroun notamment (5%) [18]. Les éléments qui expliqueraient cet état de fait sont nombreux mais l'élément clé l'absence de prise médicamenteuse. En effet, les patients recevant un TAR ou un tout autre traitement sont sous-représentés dans la population des patients perdus de vue (p=0,001). Il serait judicieux in fine de proposer aux patients du CTA, un traitement dit d'entretien ou de confort pour les inciter à poursuivre leur suivi car les perdus de vue sont en majorité des patients ayant un taux de CD4 satisfaisant, cela en attendant que le Gabon adopte les recommandations OMS de septembre 2015 proposant de traiter tous séropositifs quel que soit son taux de CD4.
La mortalité des patients de notre étude (24,6% sur 1268 patients) est très élevée comparativement aux études similaires dans la région orientale de l'Afrique sub-saharienne comme celle réalisée en Ouganda (9,4% sur 1132 patients) [10]. Il en est autrement, c'est-à-dire un taux de mortalité plutôt similaire (20%), en Afrique Centrale, précisément au Cameroun [18]. Le constat observé dans une revue systématique de 33 cohortes de 11 pays africains, montrant une corrélation inversée entre le taux de mortalité et le taux de perdus de vue n'est pas retrouvé dans notre étude [19]. Généralement la mortalité est sous-estimée compte tenu de la fréquence élevée des perdus de vue, ainsi une équipe sud-africaine a proposé un modèle mathématique de correction du taux de mortalité [20]. En effet, deux méthodes permettent de minimiser le nombre de patients décédés chez les perdus de vue. La méthode du modèle mathématique qui nécessite un ensemble de données préexistantes dans le pays, n'a pu être appliquée ici vue l'insuffisance de données nationales. La méthode de traçage a été utilisée en croisant les patients perdus de vue avec les registres de décès de la province, comme réalisée dans d'autres études [21].
Un autre facteur de majoration de la mortalité, déterminé dans notre étude et dans l'étude ougandaise, est un taux de CD4 <200 cellules/mm3. Ce facteur est utilisé dans notre étude au début de l'initiation du TAR, c'est-à-dire que les patients s'inscrivent au CTA dans un état immunitaire très préoccupant. La mortalité très élevée durant les trois premières années, se retrouve très réduite de nos jours (1,6% en 2015). Ce taux de mortalité élevé est généralement observé lors de la première année dans les cohortes de patients des pays à ressources limitées [22]. En effet, les pleins bénéfices du TAR ne sont pas encore complètement effectifs pendant les 3 à 6 premiers mois de traitement.
Le sexe masculin est un facteur associé à une mortalité plus élevée dans notre étude, comme c'est le cas aussi dans une étude camerounaise en zone rurale [18]. L'analyse de cette association retrouvée dans plusieurs travaux, a été l'objet d'une étude multicentrique sud-africaine et elle a révélé que la mortalité différentielle dans la population générale entre les hommes et les femmes était l'explication majeure [23]. Il n'en demeure pas moins que les femmes présentent un taux de CD4 à l'initiation du TAR plus élevé que celui des hommes, permettant ainsi un taux de survie plus important chez elles. La différence dans la sensibilisation et l'adhésion aux messages du CTA entre les hommes et les femmes expliquerait ce taux de CD4 faible chez les hommes qui intègrent donc tardivement le CTA.
Près d'un patient sur deux décédés présentait un taux de CD4 <200 cellules/mm3, montrant l'impact mortifère d'un taux de CD4 faible comme décrit dans plusieurs études [16, 17]. Si le diagnostic et la prise en charge s'améliorent, il n'en reste pas moins que les patients intégrant le CTA avec un taux de CD4 <200 cellules/mm3 ont une survie altérée, prouvant à contrario l'efficacité du TAR chez les patients ayant un taux de CD4 >200 cellules/mm3 à l'initiation du traitement.
En conclusion, cette étude a permis de déterminer le profil des personnes vivant avec le VIH/SIDA en zone rurale à l'est du Gabon. Il en ressort de ce travail que c'est une personne de sexe féminin, d'âge autour de la quarantaine, habitant le département de la Lolo-Bouenguidi, recevant un TAR de première ligne et du Cotrimoxazole et enfin présentant un taux de CD4 >200 cellules/mm3 à l'initiation du traitement. Les perdus de vue sont des personnes majoritairement sans aucun traitement (ni TAR, ni Cotrimoxazole) et avec un taux de CD4 >500 cellules/mm3 à l'arrivée au CTA. Les personnes décédées sont généralement des sujets masculins âgés de plus de 55 ans, traités au Cotrimoxazole, avec un taux de CD4 <200 cellules/mm3 à l'initiation du traitement et ayant intégré le CTA entre 2005 et 2007. Pour amoindrir le fort taux de perdus de vue, un traitement placebo en attendant l'adoption par le pays des recommandations OMS 2015, pourrait être envisagé pour les maintenir dans les effectifs du CTA.
Etat des connaissances actuelles sur le sujet
- Dans les pays en voie de développement, sur les 32,6 millions de personnes infectés par le VIH en 2013, seulement 11,7 millions avaient reçu un TAR (soit 35,9%);
- L'initiative «Treating 3 millions by 2005» (3-by-5), en 2006 avec le programme «Towards universal access» et l'adoption d'une politique de gratuité des soins et des TAR, ont permis d'enclencher une progression de la prise en charge;
- L'épidémiologie du VIH en Afrique subsaharienne est documentée de manière hétéroclite entre les régions urbaines et rurales. Au Gabon, les données épidémiologiques sont essentiellement disponibles en zone urbaine (6% de prévalence).
Contribution de notre étude à la connaissance
- Cette étude a permis de déterminer le profil des personnes vivant avec le VIH/SIDA en zone rurale à l'est du Gabon. C'est une personne de sexe féminin, âgée de près d'une quarantaine d'années, recevant un TAR de première ligne et présentant un taux de CD4 >200 cellules/mm3 à l'initiation du traitement;
- Les perdus de vue sont des personnes ne recevant aucun traitement (TAR et Cotrimoxazole) et ayant un taux moyen de CD4 >500 cellules/mm3;
- Les personnes décédées sont majoritairement des sujets masculins âgés de plus de 55ans, avec un taux de CD4 <200 cellules/mm3 à l'initiation du traitement.
Les auteurs déclarent n'avoir aucun conflit d'intérêts.
Design de l'étude: AMD, LEM, PM et CB. Suivi clinique des patients: AMD, WSB, GLI, LPA et GB. Traitement des échantillons au laboratoire: JCEM et GLI. Analyse et interprétation des données: CB, LEM et PM. Rédaction du manuscrit et corrections: AMD, LEM, PM et CB. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.
Les auteurs remercient l'ensemble des patients suivis au CTA de Koula-Moutou mais aussi l'agence japonaise de coopération internationale (JICA) pour son soutien.
Tableau 1: caractéristiques socio-cliniques des patients de 2005 à 2015
Tableau 2: facteurs influençant les pertes de vue et la mortalité chez les patients de 2005 à 2015
Tableau 3: début de suivi clinique chez les patients perdus de vue et décédés de 2005 à 2015
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