Quand les complications de la dépigmentation conduisent à l’indication d’une lipectomie abdominale atypique
Odry Agbessi, Rami Selinger, Amine Khales, Mohammed Nassih, Karim El Khatib
Corresponding author: Odry Agbessi, Service de Chirurgie Plastique et Chirurgie Maxillo-faciale, Hôpital Militaire d'Instruction Mohammed V Rabat, Maroc
Received: 14 Sep 2015 - Accepted: 08 Oct 2015 - Published: 27 Oct 2015
Domain: Clinical medicine
Keywords: Complication, dépigmentation, abdominoplastie atypique à double étage
©Odry Agbessi et al. Pan African Medical Journal (ISSN: 1937-8688). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Odry Agbessi et al. Quand les complications de la dépigmentation conduisent à l’indication d’une lipectomie abdominale atypique. Pan African Medical Journal. 2015;22:194. [doi: 10.11604/pamj.2015.22.194.7967]
Available online at: https://www.panafrican-med-journal.com//content/article/22/194/full
Original article
Quand les complications de la dépigmentation conduisent à l’indication d’une lipectomie abdominale atypique
Quand les complications de la dépigmentation conduisent à l’indication d’une lipectomie abdominale atypique
Odry Agbessi1,&, Rami Selinger1, Amine Khales1, Mohammed Nassih1, Karim El Khatib1
1Service de Chirurgie Plastique et Chirurgie Maxillo-Faciale, Hôpital Militaire d'Instruction Mohammed V Rabat, Maroc
&Auteur correspondant
Odry Agbessi, Service de Chirurgie Plastique et Chirurgie Maxillo-faciale, Hôpital Militaire d'Instruction Mohammed V Rabat, Maroc
La lipectomie abdominale est l'une des interventions les plus habituelles de la chirurgie plastique. Néanmoins certaines spécificités peuvent donner lieu à une dermo- lipectomie atypique. Le cas décrit ici présente des singularités à la fois morphologiques, étiologiques et thérapeutiques. Il s'agit d'une patiente d'origine africaine obèse, diabétique, présentant deux volumineux tabliers abdominaux, l'un supra et l'autre infra ombilical. Une atrophie cutanée majeure avec de larges vergetures ressemblant à des cicatrices chéloïdes avec une fragilité extrême de la peau qui s'arrache au moindre traumatisme. Il s'agit de complications de la dépigmentation artificielle. Il a été réalisé une Dermolipectomie abdominale « centrifuge » à double étage: in situ sans décollement cutané, sans transposition de l'ombilic, préservant la peau centrale de meilleure qualité, en deux temps opératoires (un pour chaque étage). Le choix d'une dermolipectomie atypique, sans décollement et en deux temps, vise à corriger une déformation atypique en minimisant les risques de complications (infection, nécrose, désunion) dans un contexte de diabète, d'obésité non traitée et de fragilité cutanée, tous trois facteurs de risque de morbidité post-opératoire.
La lipectomie abdominale est l'une des interventions les plus habituelles de la chirurgie plastique. Néanmoins devant certains cas particuliers le chirurgien doit prendre en compte certains aspects spécifiques qui peuvent donner lieu à une dermo- lipectomie atypique. Le cas décrit ici présente des singularités à la fois morphologiques, étiologiques et thérapeutiques.
Description du cas: il s'agit d'une patiente d'origine africaine diabétique, présentant une obésité morbide qui, après échec des différents régimes et un refus absolu de chirurgie bariatrique consulte pour deux volumineux tabliers: l'un occupe toute la région épigastrique et l'autre classique en région sus pubienne (Figure 1, Figure 2, Figure 3). L'examen clinique révèle par ailleurs: une dyschromie de tout le revêtement cutané, avec des signes ochronose exogène; une atrophie cutanée majeure avec de larges vergetures ressemblant à des pseudo cicatrices chéloïdes, et laissant transparaitre par endroit la graisse (Figure 4) sous cutanée, avec une fragilité extrême de la peau qui s'arrache au moindre traumatisme. Il s'agit de complications d'une automédication ayant pour but d'éclaircir la peau par des crèmes cortisonées à forte dose sur une longue période (plus de 30ans) C'est le phénomène « Bodjou ou xeesal » bien connu en Afrique; seule, la peau centrale, péri ombilicale et des régions adjacentes des 10 à 15 cm supérieurs et inférieurs) paraissaient moins lésées; l'échographie n'a pas révélé de diastasis significatif des muscles droits de l'abdomen.
Choix thérapeutique; Dermolipectomie abdominale « centrifuge » à double étage: il s'agit de deux dermolipectomies in situ sans décollement ni transposition de l'ombilic, en deux temps, préservant la peau centrale de meilleure qualité, associées à une grande lipoaspiration. L'une des cicatrices est à hauteur des sillons sous mammaires étendue latéralement. L'autre, classique, sus pubienne étendue latéralement (Figure 5). La première intervention consistait à une dermolipectomie haute supérieure élargie laissant une longue cicatrice passant par les deux sillons sous mammaires: après une lipoaspiration étendue, on réalise la dermolipectomie selon un dessin établi la veille emportant tout la peau dystrophique sus ombilicale. Après hémostase soigneuse, on fit la fermeture en deux plans sur deux drains aspiratifs. Le type de suture, fil 2/0 résorbable (vicryl ou monocryl avec sujet intradermique spiralé de Mitz en superficie. Les suites opératoires ont été simples l'ablation des redons a été fait au deuxième jour postopératoire.
Au bout de 3 mois on réalise le deuxième temps à l'étage inférieur: dermolipectomie abdominale classique sus pubienne sans transposition de l'ombilic, et sans décollement de la peau péri ombilicale. Durant ce second temps opératoire un complément d'exérèse de l'étage supérieur (dans sa région centrale) a été également fait, car l'excès de prudence lors de la première opération avait eu pour conséquence une insuffisance de résection au départ. A chaque fois, les suites opératoires ont été simples: sans désunion, ni nécrose (cutanée ou graisseuse) ni infection. En post opératoire, la patiente a signalé une nette amélioration de sa qualité de vie avec la possibilité de réaliser certaines activités et mouvements qui lui étaient impossibles. Car sa disgrâce abdominale constituait pour elle un double handicap, à la fois physique et psychologique.
Le cas exposé ici, présente des singularités à la fois étiologique, morphologique et thérapeutique. La particularité étiologique ici est associée aux complications de la dépigmentation cutanée. En effet si le phénomène de dépigmentation de la peau est bien connu, surtout en Afrique noire et en Amérique, la population reste peu sensible à ses complications qu'on ne cesse néanmoins de décrier. La dépigmentation constitue un véritable problème de santé publique [1]. La dépigmentation artificielle ou encore dépigmentation volontaire connue sous plusieurs nom « BOJOU » au Bénin, « xeesal » au Sénégal ou en Mauritanie, « maquillage » au Cameroun et au Congo, « bleaching » en Amérique ou d'autres noms encore, est un fait de société bien documenté [1-5]. Elle consiste en un éclaircissement de la peau par l'utilisation de produits dont, des dermocorticoïdes d'activité très forte, de l'hydroquinone, des produits mercuriels et des décapants comme la soude [1-3, 6, 7]. Cette pratique n'est pas seulement l'apanage des populations à peau noire mais est répandue même chez les femmes à peau claire. [2]. Malheureusement cette pratique n'est pas dénuée de complications, et pour certains auteurs plus de 93% des utilisatrices ont présenté des complications [2, 8,]. Ces complications peuvent être cutanées (Dermatophyties profuses, acné, gale profuse, érysipèle, impétigos, vergetures, atrophie cutanée, dermite caustique, ochronose exogène qui est une dermatose précancéreuse') mais aussi générales (Diabète, hypertension artérielle, insuffisance surrénalienne). Connaissant le phénomène cela a été facile de relier les signes cutanés présentés par notre patiente (dyschromie, ochronose exogène, les vergetures, l'hyperpigmentation paradoxale du dos des mains et des pieds) à cette pratique. Ce qui nous a été confirmé par l'interrogatoire. En effet, la patiente utilisait des produits fortement dosés en corticoïdes depuis plus de 30 ans. L'aspect des vergetures, de même que la fragilité cutanée importante laissant transparaitre par endroit la graisse sous cutanée, montre ici le degré d'agression de la peau. On peut d'ailleurs se demander quel est son rôle éventuel dans l'apparition de déformations atypiques, « Cushingoïdes » ou autres : telles que le double tablier de notre patiente. Notons que la patiente est consciente de la relation de cause à effet entre l'utilisation de ces produits et les disgrâces cutanées qu'elle présente. En effet comme cela été souligné dans la littérature, [2] la majorité des utilisatrices (73,8%), connaissent les effets secondaires sans que cela ne les dissuadent de cette pratique [2]. De plus dans la plus part des cas, ces manifestations cutanées, en dehors de l'acné, épargnent la face, ou sont camouflées par le maquillage, ne motivent donc pas souvent une consultation et sont bien supportés par les patients qui les acceptent en tant que rançon de la dépigmentation artificielle [1, 2, 7, 8]. Ceci explique que notre patiente ne consulte pas pour ses disgrâces cutanées mais surtout pour sa déformation abdominale qui constitue un véritable handicap sans pour autant se douter que ses problèmes de sante actuel pourraient être en rapport avec cette pratique quotidienne développée depuis plus de 30 ans.
Les déformations et disgrâces abdominales sont motifs fréquents de consultation en chirurgie plastique. La paroi abdominale, avec son double symbole de la maternité et de l'érotisme, constitue un des éléments les plus importants de l'esthétique de la femme. Ceci explique l'incidence psychologique souvent importante des disgrâces et des altérations qui affectent cette région [9, 10]. La chirurgie plastique de l'abdomen a connu des avancées importantes depuis l'avènement de la lipoaspiration. Cette révolution conduite par Illouz, a eu entre autres pour effet de rendre plus simples les réductions de volume dans les opérations de la silhouette, effectuées notamment en combinaison aux dermolipectomies. Ceci est particulièrement le cas dans les dermolipectomies abdominales chez les obèses non ou insuffisamment amaigris, permettant d'en réduire la morbidité. En effet la liposuccion permet d'agir à distance du lieu d'ouverture cutanée, de réduire les volumes adipeux à la demande sans décollements ou d'excisions au bistouri. Elle dégraisse efficacement tout en préservant la quasi-totalité des structures tissulaires artério-veineuses, nerveuses, et lymphatiques. On en voit tout particulièrement l'intérêt chez une patiente fragile aux multiples facteurs de risque post-opératoire que sont l'obésité, le diabète, et l'atrophie cutanée. La technique d'abdominoplastie classique actuellement combine une lipoaspiration, une réfection de la paroi musculo-aponévrotique a une dermolipectomie abdominale horizontale ou transversale inferieure avec transposition de l'ombilic. Mais il existe plusieurs gestes techniques d'abdominoplastie qui sont combinés de façon variée et cela en fonction du résultat de l'examen préopératoire. Cet examen doit prendre en compte plusieurs éléments dont quatre éléments fondamentaux qui permettent l'orientation de l'indication technique dans le but d'obtenir le meilleur résultat esthétique avec une moindre morbidité [9-12]. Sur le plan local: la peau, le revêtement cutané, la graisse, le tissu adipeux sous-cutané, le plan musculo aponévrotique sont minutieusement examinés. Le quatrième élément important consiste à l'évaluation du terrain global en vue d'éliminer les contres indications. Le bilan de cet examen permet de classer les patients en plusieurs groupes en fonction de l'association à des degrés divers des altérations des éléments sus cités. Ce qui permet d'orienter vers le choix des gestes techniques à réaliser. Plusieurs classifications existent. En effet si certains classent ces altérations en 9 sous-groupes [10], d'autres les regroupent en quatre grands types [11]. Pour la majorité des auteurs, les différents gestes techniques qui sont réalisés dans le cadre des abdominoplasties peuvent concerner le plan musculo-aponévrotique dont la réfection peut aller de la simple cure de diastasis à une cure de véritables hernies pariétales [9, 11, 12]. Ils peuvent concerner également le plan graisseux et peut dans certains cas constituer le seul geste limitant donc l'intervention a une simple lipoaspiration. En fin les gestes concernant le plan cutané: il s'agit de dermolipectomie. Il existe plusieurs modalités de cette dermolipectomie associant ou non un geste sur l'ombilic en fonction des altérations cutanées observées et de la réserve cutanée disponibles. Le type de dermolipectomie réalisé donne son nom à l'intervention. Ainsi on distingue: les plasties abdominales localisées qui s'adressent à des lésions limitées dans l'espace. Elles peuvent être supra, infra ombilicale ou medio abdominale; les abdominoplasties étendues qui concernent l'ensemble de la paroi abdominale; elles impliquent souvent un décollement cutané étendu et un geste sur l'ombilic. Selon l'orientation des incisions, elles peuvent être verticales ou longitudinales, horizontales ou transversales et parfois mixte. Les plasties abdominales verticales et mixtes sont rares. Les plasties abdominales transversales regroupent tous les tracés horizontaux, perpendiculaires à la ligne xipho pubienne, sans préjuger de leur situation par rapport à l'ombilic. Ces incisions ont tendance à déborder latéralement plus ou moins loin, pour réaliser au maximum la Lipectomie circulaire ou « body lift » [9, 10]. Pour Vandenbussche, le mécanisme lésionnel ayant réalisé une expansion cutanée centrifuge de distension, le mécanisme correcteur logique doit être réducteur, centripète et axial descendant. Ceci explique que la majorité des dermolipectomies étendues transversales sont donc basse ayant pour but de tirer l'excèdent cutanéo-graisseux vers le bas associant une transposition de l'ombilic ou une neoombilicoplastie [9,11]; Dans certaines situations en fonction des lésions cutanées, des dermolipectomies localisées peuvent être associées à cette dermolipectomie étendue comme les plasties abdominales localisée sus ombilicale transversale. L'association de deux dermolipectomies étendues transversales basses et haute est rare. La dermolipectomie transversales haute étendue réalisée ici pourrait se rapprocher de celle Décrite en 1977 par Rebello [9,13], et qui était réserver à des indications très précises et en fait rares concernant des lésions étendues de l'étage supérieur de l'abdomen, sans lésion de l'étage sous-ombilical [9, 13]. L'association de deux dermolipectomies étendues hautes et basse est en conséquences plus rare. Les altérations spécifiques de la paroi abdominale présentée par la patiente nous ont obligés à faire ce choix de dermolipectomie étendues à double étage. En effet on pouvait noter une atrophie importante de la peau avec de très large vergeture, une peau sus et sous ombilicale très amincie laissant transparaitre la graisse sous cutanée. Seule la peau centrale péri ombilicale paraissait moins atteinte. Les énormes tabliers présentés obligeaient à des résections larges. Dès lors deux impératifs à atteindre: d'une part, exérèse des deux tabliers et d'autre part la conservation de la région cutanée centrale péri ombilicale la moins lésée d'où l'importance d'être centrifuge. La peau péri ombilicale étant constituée comme le centre qu'il faut conserver donc dont il faut s'éloigner. Le choix de la technique opératoire doit également tenir compte du terrain et des risques de complication post opératoires. Devant cette fragilité cutanée en rapport avec les complications de la dépigmentation artificielle et ce terrain de diabète, nous avons préféré réalisée cette dermolipectomie centrifuge étendue à double étage en deux temps opératoires séparées d'une période de trois mois. Cette attitude thérapeutique a pour but de diminuer la morbidité post opératoire et de prévenir les éventuelles complications en occurrence la nécrose cutanée. Cette notion de deux temps opératoires pour les dermolipectomies abdominales a été déjà évoquée par J. Gliksman [14]. L'un des inconvénients de cette technique est la présence de cicatrice médiane passant en pont entre les deux seins cependant elle serait plus acceptable chez les patientes présentant une hypertrophie mammaires et candidate a une mammoplastie de réduction [9] comme notre patiente surtout que la cicatrice est placée de façon a être dissimulée par le soutien-gorge. Cette technique de dermolipectomie étendues transversale centrifuge a doublé étage présente donc un intérêt surtout dans le cadre de la prise en charge des « anciens obeses chez qui le body lift parfois à lui seul ne suffit pas à résoudre le problème des excès cutanés du tronc.
Les abdominoplasties constituent des interventions fréquemment réalisées en chirurgie plastique. Elles regroupent de nombreux gestes techniques qui s'associent variablement pour corriger les déformations et disgrâces abdominales d'étiologies diverses et multifactorielles. L'association de deux dermolipectomies transversales étendues centrifuge haute et basse est rarement pratiquée sauf dans des cas particuliers comme chez notre patiente. Ce choix d'une dermolipectomie atypique, sans décollement et en deux temps, vise à corriger une déformation atypique avec une moindre morbidité dans ce contexte de diabète, d'obésité non traitée et de fragilité cutanée. Cette association présente aussi un intérêt dans la prise en charge de la nouvelle population de candidats à des abdominoplastie après une chirurgie bariatrique, montrant que l'on peut adapter un type de dermolipectomie à chaque cas particulier.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêt.
Tous les auteurs ont contribué à la conduite de ce travail. Tous les auteurs déclarent également avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.
Figure 1: vue de face présent la déformation de l’abdomen avec les énormes tabliers et mettant en évidence également des lésions cutanées
Figure 2: vue profil ¾ présentant les mêmes lésions
Figure 3: vue profil ¾ gauche présentant les mêmes lésions
Figure 4: montre une pièce opératoire mettant en évidence la fragilité extrême de peau avec la graisse sous-cutanée visible par transparence
Figure 5: résultat post opératoire immédiat à la fin de la deuxième intervention
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