Les leishmanioses cutanées à Leishmania major et à Leishmania tropica au Maroc: aspects épidémio-cliniques comparatifs de 268 cas
Soumia Chiheb, Widad Slaoui, Tarik Mouttaqui, Meriem Riyad, Hakima Benchikhi
Corresponding author: Widad Slaoui, Service de Dermatologie du CHU IBN ROCHD de Casablanca, Casablanca, Maroc
Received: 07 Apr 2013 - Accepted: 06 Jul 2014 - Published: 16 Oct 2014
Domain: Epidemiology
Keywords: Major, tropica, polymorphisme, Maroc
©Soumia Chiheb et al. Pan African Medical Journal (ISSN: 1937-8688). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Soumia Chiheb et al. Les leishmanioses cutanées à Leishmania major et à Leishmania tropica au Maroc: aspects épidémio-cliniques comparatifs de 268 cas. Pan African Medical Journal. 2014;19:160. [doi: 10.11604/pamj.2014.19.160.2613]
Available online at: https://www.panafrican-med-journal.com//content/article/19/160/full
Original article
Les leishmanioses cutanées à Leishmania major et à Leishmania tropica au Maroc: aspects épidémio-cliniques comparatifs de 268 cas
Les leishmanioses cutanées à Leishmania major et à Leishmania tropica au Maroc: aspects épidémio-cliniques comparatifs de 268 cas
Soumia Chiheb1, Widad Slaoui1,&, Tarik Mouttaqui2, Meriem Riyad2, Hakima Benchikhi1
1Service de Dermatologie-Vénéréologie Ibn Rochd de Casablanca, Casablanca, Maroc, 2Laboratoire de Parasitologie-Mycologie de la Faculté de Médecine de Casablanca, Casablanca, Maroc
&Auteur correspondant
Widad Slaoui, Service de Dermatologie du CHU IBN ROCHD de Casablanca, Casablanca,
Maroc
Introduction: Depuis 1995, le Maroc a connu une réactivation des foyers de leishmanioses cutanées (LC) à L. major et une nouvelle répartition géographique des foyers à L. tropica. Le but de cette étude est de comparer les aspects épidémio-cliniques associés aux LC potentiellement dues à L. major et à L. tropica.
Méthodes: Une étude rétrospective a colligé 268 cas de LC au service de dermatologie du CHU Ibn Rochd de Casablanca entre Janvier 1995 et Septembre 2010. Les données étaient analysées par Epi info version 3.5.1. Le test X2 était appliqué (Différence significative=p< 0,05)
Résultats: Deux cent soixante-huit cas de LC ont été colligés, dont 160 femmes et 108 hommes .Ils ont été répartis en 123 patients originaires des foyers à L .major et 145 patients originaires des foyers à L. tropica. L'aspect ulcéronodulaire, ulcérovégétant ou végétant était retrouvé dans 58 cas (47,2%) des cas de LC à L. major versus 24 cas (16,7%) dans la L.C à L. tropica. L'aspect papulonodulaire était retrouvé dans 84 cas (58%) de LC à L. tropica contre 41 cas (33,3%) de LC à L. major. Le siège de prédilection des LC à L. major était les membres supérieurs et /ou inférieurs dans 61,7% des cas, tandis que dans la LC à L. tropica, l’atteinte du visage reste prédominante (70,3% des cas).
Conclusion: Dans la LC à L. major, l'atteinte des membres et les aspects cliniques végétant ou ulcéro-végétant restent toujours prédominants. Dans la L.C à L. tropica, l'atteinte papulonodulaire unique du visage reste prédominante mais des formes ulcéronodulaires, végétantes ou ulcérovégétantes existent également dans les foyers récents à L. tropica, prêtant à confusion cliniquement avec des LC à L. major.
Avant 1995, deux formes noso-géographiques de leishmanioses cutanées (LC) étaient décrites au Maroc. La LC à L. major du Sud décrite comme une forme humide, multiple prédominant aux membres inférieurs dans les foyers endémo-épidémiques ; la LC à L. tropica du centre décrite comme de type lupoïde dans les foyers hypo endémiques [1]. A partir de 1995, l'apparition de nouveaux foyers épidémiques de LC à L. tropica au Nord et au centre sud du pays s'est accompagnée d'un polymorphisme clinique important, prêtant à confusion avec une LC à L. major [2]. Le but de ce travail est de comparer les aspects épidémio-cliniques des 2 types de leishmaniose à travers l'expérience du service de dermatologie du CHU IBN Rochd de Casablanca.
L'étude a porté sur 268 cas de LC recrutés entre Janvier 1995 et Septembre 2010. Le diagnostic de LC a été retenu sur la notion d'habitat ou de séjour en zone d'endémie, l'aspect clinique évocateur, la localisation aux zones découvertes, l'absence de guérison des lésions après une antibiothérapie banale, un examen parasitologique direct positif et /ou une histologie évocatrice. Ces dossiers ont fait l'objet d'une analyse épidémioclinique, précisant en particulier l'origine de la maladie et les différents aspects cliniques observés.
La distinction des foyers de LC à L. major et à L. tropica s'est basée sur la définition de ces foyers à travers les données de la littérature [3] et les données du ministère de la santé publique, elle-même basée sur le biotope, le typage iso-enzymatique des parasites ou isolement par la biologie moléculaire. Ainsi, nos observations ont été scindées en 2 groupes: Un groupe de LC à L. major originaire des foyers du Sud et de l'Est du Maroc; Un groupe de LC à L. tropica originaire des foyers du centre, centre sud et Nord.
Pour chaque groupe étaient précisés l'âge, le sexe, la date d'apparition, la durée d'évolution, les aspects cliniques, la localisation des lésions, leur taille, l'évolution après traitement. Les aspects cliniques évocateurs retenus étaient la forme papulonodulaire, végétante, ulcéro-nodulaire ou ulcéro-végétante, et ulcéro-croûteuses. La fréquence de ces aspects cliniques a été comparée dans les foyers supposés à L. major et dans les foyers supposés à L. tropica. Les données étaient analysées par Epi info version 3.5.1. Le test X2 était appliqué et les différences étaient significatives quand p. était inférieur à 0,05.
Sur une période de 15 ans, 268 cas ont été diagnostiqués. Ils se répartissaient en 123 patients originaires des foyers du Sud et de l'Est du Maroc potentiellement dus à L. major et 145 patients des foyers du Nord, Centre et Centre-Sud potentiellement dus à L. tropica. La moyenne d'âge des patients issus des foyers de L.C à L .major était de 33,5 ± 23,1 ans avec des extrêmes de 1 à 84 ans, et celle des patients issus des foyers L. tropica était de 26,6 ±21,65 ans avec des extrêmes de 1 à 72 ans.
Le sexe féminin était prédominant dans les LC à L. tropica: 61,4% versus 38,6% avec p<0,05. La durée d'évolution des lésions cutanées de la LC à L. major était de 4,5±7,3 mois tandis que celle de la L.C à L. tropica était de 9,1 mois ±10, 3 mois. La localisation anatomique est rapportée dans le Tableau 1, on note: L'atteinte des membres est retrouvée dans 72 cas (61,7%) de leishmanioses à L. majorversus 28 cas (19,3 %) dans la LC à L. tropica avec une différence significative (P<0,05); L'atteinte du visage est retrouvée dans 102 cas (70, 3%) de LC à L. tropica avec une différence très significative (p<0,05).
Le nombre moyen de lésions dans la LC à L. major était de 3,1 ± 2,7, avec un maximum de 14. Les lésions étaient multiples dans 61% des cas . Le nombre moyen de lésions dans la LC à L. tropica était de 1,5 ± 1,1, avec un maximum de 8 ; la lésion était unique dans 74% des cas.
Le diamètre des lésions variait de 1 à 15 cm dans la LC à L .major avec une moyenne de 3,8±2,3 cm. Les lésions variaient de 1 à 10 cm dans la LC à L. tropica, avec une moyenne de 2,3 ±1,6 cm.
L'aspect ulcéronodulaire, ulcérovégétant ou végétant est retrouvé dans 58 cas (47,2%) des de LC à L. major (Figure 1) versus 24 cas (16,7%) des L.C à L.tropica (Figure 2). L'aspect papulonodulaire était retrouvé dans 84 cas (58%) des LC à L. tropica contre 41 cas (33,3%) de LC à L. major. (p : 0,000005) (Tableau 2).
La LC à L.major classiquement décrite comme une forme humide, végétante ou ulcéro-végétante prédominant aux MI est également vérifié dans cette étude [4].
Par contre la L.C à L. tropica décrite comme une forme sèche papulonodulaire unique du visage dans les foyers hypo endémiques stables, connait actuellement [5-7] un polymorphisme clinique important dans les foyers épidémiques récents à L.tropica [8, 9]. La forme papulonodulaire du visage reste prédominante : 84 cas (58 %) mais d'autres aspects cliniques telle que la forme ulcéro-nodulaire, ulcéro-végétante ou végétante mimant une LC à L. majorsont actuellement retrouvés dans les LC à L. tropica sans différence significative par rapport à L .major.
La distinction des formes cliniques à L. majorou à L. tropica s'est basée, dans notre étude, sur la corrélation entre l'origine géographique des cas et la définition des foyers comme étant à L. tropica ou L. majorpar le ministère de la santé publique et les données de la littérature.
Les foyers potentiellement dus à L. tropica se sont étendus au Maroc depuis 1995 regroupant les provinces du Centre, Centre Sud et Nord du pays, tandis que la LC à L .major est restée cantonnée au Sud et à l'Est [3, 10].
L'analyse des résultats montre une prédominance féminine dans les foyers à L .tropica liée d'une part au caractère endophile du Phlebotomus sergenti [11] (les femmes passant la nuit à l'intérieur des maisons par rapport aux hommes, et d'autre part l'atteinte prédominante du visage engageant le pronostic esthétique justifie une consultation fréquente des femmes.
Dans les foyers de LC à L. major, l'atteinte des 2 sexes ne montrent pas de différence significative, par contre l'atteinte des membres est prédominante par rapport aux foyers à L. tropica (P<0.05).
Les formes, du sud et de l'est du Maroc à L. major, sont caractérisées par un mode d'évolution aigu avec une durée moyenne d'évolution des lésions de 4,5 mois dans notre étude [12].
Tandis que la LC à L. tropica évolue sur un mode chronique avec une durée d'évolution plus longue, de 9,1mois en moyenne ; cette durée d'évolution est classiquement supérieure à 2 ans dans les foyers d'endémicité stable [13].
Les lésions sont, le plus souvent, multiples dans la LC à L. major atteignant un nombre moyen de 3,1 pour chaque patient dans notre travail; versus 1,5 pour la L.C à L .tropica où 74% des patients ne présentaient qu'une seule lésion. L'analyse de contenus stomacaux des phlébotomes montre la présence de sang de diverses origines. Lorsqu'un phlébotome est dérangé au cours de son repas, il peut le compléter soit en piquant aussitôt le même hôte, expliquant ainsi certaines lésions multiples, soit en piquant un autre hôte. Les repas sanguins multiples sont plus souvent observés chez Phlebotomus papatasi (vecteur de LC à L. major), espèce très éclectique expliquant ainsi la multiplicité des lésions.
Le siège de prédilection des LC à L. majorétait les membres supérieurs et /ou inférieurs (61,7%) tandis que pour les LC à L. tropica, le visage était touché dans 70,3% des cas .Ce pourcentage est comparable à celui de la littérature [3]. Cette localisation peut être expliquée par le caractère nettement endophile du vecteur P.sergenti, ainsi que son attirance vers l'hôte humain qui semble dépendre de la production du dioxyde de carbone (CO2) mais également de l'odeur [14].
Le diamètre des lésions dans la L.C à L .major est en moyenne supérieur à celui des LC à L. tropica: 3,8 cm et 2,3 cm respectivement.
Il ressort de l'analyse de nos résultats que les aspects cliniques des LC à L. major et à L. tropica peuvent être confondus. Cependant, une localisation au visage serait plus évocatrice d'une LC à L. tropica, surtout si elle est unique, alors qu'une localisation aux membres serait plutôt évocatrice d'une LC à L.major. La PCR, en cours de mise au point dans le laboratoire de parasitologie mycologie de la faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca, permettra certainement de vérifier ces données au Maroc et de mieux élucider cette nouvelle épidémiologie, étant donné que plusieurs espèces de LC peuvent être responsables de LC dans une même région. Le typage systématique des LC permettra de vérifier les résultats de cette analyse préliminaire et ainsi de proposer aux cliniciens une mise à jour des arguments cliniques en faveur d'une suspicion de LC.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.
Tous les auteurs ont contribué a la conduite de ce travail de recherche. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.
L'équipe de recherche sur les leishmanioses cutanées est remercié pour sa contribution à ce travail.
Tableau 1: localisation des lésions de LC à L.major et à L.tropica
Tableau 2:
aspects cliniques des LC à L. major et à L. tropica
Figure 1: lésions verruqueuses
et ulcérées du membre inférieur (L. major)
Figure 2: lésions végétantes
multiples atypiques du visage (L. tropica)
- Pinto MC, Campbell-Lendrum DH, Lozovei AL, Teodoro U, Davies CR. Phlebotomine sandfly responses to carbon dioxide and human odour in the field. Med Vet Entomol. 2001 Jun; 15(2): 132-9. PubMed | Google Scholar
- Chiheb S, Guessous-Idrissi N, Hamdani A, Riyad M, Bichichi M, Hamdani S, Krimech A. Leishmania tropica cutaneous leishmaniasis in an emerging focus in North Morocco: new clinical forms. Ann Dermatol Venereol. 1999 May;126(5): 419-2. PubMed | Google Scholar
- Rhajaoui M. Human leishmaniases in Morocco: a nosogeographical diversity. Pathol Biol. (Paris), 2011 aug; 59(4): 226-9. PubMed | Google Scholar
- Dowlati Y. Cutaneous leishmaniasis: clinical aspect. Clin Dermatol. 1996 Sep-Oct;14(5): 425-31. PubMed | Google Scholar
- Guessous-Idrissi N, Chiheb S, Hamdani A, Riyad M, Bichichi M, Hamdani S, Krimech A. Cutaneous leishmaniasis: an emerging epidemic focus of Leishmania tropica in north Morocco. Trans R Soc Trop Med Hyg. 1997 Nov-Dec;91(6): 660-3. PubMed | Google Scholar
- Marty P1, Le Fichoux Y, Pratlong F, Rioux JA, Rostain G, Lacour JP. Cutaneous leishmaniasis due to Leishmania tropica in a young Moroccan child observed in Nice, France. Trans R Soc Trop Med Hyg. 1989 Jul-Aug;83(4): 510. PubMed | Google Scholar
- Mihoubi I1, Picot S, Hafirassou N, de Monbrison F. Cutaneous leishmaniasis caused by Leishmania tropica in Algeria. Trans R Soc Trop Med Hyg. 2008 Nov;102(11): 1157-9. PubMed | Google Scholar
- Rhajaoui M1, Fellah H, Pratlong F, Dedet JP, Lyagoubi M. Leishmaniasis due to Leishmania tropica MON-102 in a new Moroccan focus. Trans R Soc Trop Med Hyg. 2004 May;98(5): 299-301. PubMed | Google Scholar
- Rhajaoui M, Nasereddin A, Fellah H, Azmi K, Amarir F, Al-Jawabreh A, Ereqat S, Planer J, Abdeen Z. New clinico-epidemiologic profile of cutaneous leishmaniasis, Morocco. Emerg Infect Dis. 2007 Sep;13(9): 1358-60. PubMed | Google Scholar
- Pratlong F, Rioux JA, Dereure J, Mahjour J, Gallego M, Guilvard E, Lanotte G, Perieres J, Martini A, Saddiki A. Leishmania tropica in Morocco, IV-Intrafocal enzyme diversity. Ann Parasitol Hum Comp. 1991; 66(3): 100-4. PubMed | Google Scholar
- Guilvard E, Rioux JA, Gallego M, Pratlong F, Mahjour J, Martinez-Ortega E, Dereure J, Saddiki A, Martini A. Leishmania tropica in Morocco, III-The vector of Phlebotomus sergenti: A propos of 89 isolates. Ann Parasitol Hum Comp. 1991; 66(3): 96-9. PubMed | Google Scholar
- Desjeux P. The increase in risk factors for leishmaniasis worldwide. Trans R Soc Trop Med Hyg. 2001 May-Jun;95(3): 239-43. PubMed | Google Scholar
- Achour Barchiche N, Madiou M. Outbreak of cutaneous leishmaniasis: about 213 cases in the province of Tizi-Ouzou. Pathol Biol. (Paris), 2009 Feb;57(1: 65-70. PubMed | Google Scholar
- Bailey MS, Lockwood DN. Cutaneous leishmaniasis. Clin Dermatol. 2007 Mar-Apr; 25(2): 203-11. PubMed | Google Scholar