Perception des prestataires de soins sur l’utilisation du partogramme au Burundi
Aline Mukundwa, Laura Harris, Sylvestre Bazikamwe, Jean Francois Busogoro, Koyejo Oyerinde
Corresponding author: Aline Mukundwa, Averting Maternal Death and Disability Program, Mailman School of Public Health, Columbia University, 60 Haven Avenue, B3 New York, NY 10032 USA
Received: 01 Aug 2013 - Accepted: 09 Sep 2013 - Published: 04 Nov 2013
Domain: Maternal and child health
Keywords: Partogramme, prestataires de soins, utilisation, Burundi
©Aline Mukundwa et al. Pan African Medical Journal (ISSN: 1937-8688). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Aline Mukundwa et al. Perception des prestataires de soins sur l’utilisation du partogramme au Burundi. Pan African Medical Journal. 2013;16:75. [doi: 10.11604/pamj.2013.16.75.3176]
Available online at: https://www.panafrican-med-journal.com//content/article/16/75/full
Perception des prestataires de soins sur l’utilisation du partogramme au Burundi
Aline Mukundwa1, Laura Harris2, Sylvestre Bazikamwe3, Jean Francois Busogoro3, Koyejo Oyerinde1
1Averting Maternal Death and Disability Program, Mailman School of Public Health, Columbia University, 60 Haven Avenue, B3 New York, NY 10032 USA, 2UCSF, California, USA, 3Centre Hospitalo-Universitaire de Kamenge, Bujumbura, Burundi, 4Ministere de la Sante Publique et de Lutte contre le SIDA, Bujumbura, Burundi
&Auteur correspondant
Aline Mukundwa, Averting Maternal Death and Disability Program, Mailman School of Public Health, Columbia University, 60 Haven Avenue, B3 New York, NY 10032 USA
Introduction: Le partogramme est un outil de surveillance du travail d'accouchement, qui est peu utilisé de façon régulière dans certains pays, dont le Burundi. L'objectif de cette étude avait pour objectif de documenter la perception des prestataires de soins à l'utilisation du partogramme et les barrières à son utilisation dans les formations sanitaires du Burundi.
Méthodes: Des interviews et focus groups ont été réalisés avec des prestataires, en français et en langue locale le Kirundi. Des questionnaires en français ont été distribués aux prestataires qui ont répondu aux interviews. Les renseignements obtenus grâce aux interviews et focus groups ont été transcrits par thème et analysés par le logiciel Weft QDA. Les réponses au questionnaire ont été saisies par Microsoft Access.
Résultats: Le partogramme est apprécié par les répondants pour sa facilité de montrer la progression du travail et de permettre la communication entre soignants. Cependant, plusieurs d'entre eux trouvent que le partogramme ne donne pas de valeur ajoutée. Les facteurs décourageants son utilisation sont une surcharge du travail pour les prestataires et le manque de personnel formé à son utilisation.
Conclusion: Bien que le Ministère de la Santé Publique et de la Lutte contre le SIDA (MSPLS) ait couvert presque tous les districts sanitaires en matière de formation sur l'utilisation du partogramme, ces formations n'ont pas suffit pour déclencher et perpétuer son utilisation. Cette étude montre en particulier le rapport entre la motivation d'utilisation du partogramme et la vérification de cette utilisation par les superviseurs et les médecins.
Le taux de mortalité maternelle au Burundi, élevé à 899 décès maternels pour 100,000 naissances vivantes selon les données inter agences des Nations Unies, est classé au cinquième rang dans les pays au Sud du Sahara[1]. La part imputable au travail prolongé est énorme: en 2010, 6234 cas de travail dystocique étaient enregistrées dans les formations sanitaires (FOSA) au cours de l'Evaluation des Besoins en Soins Obstétricaux et Néonatals d'Urgence (EB SONU), ce qui a aboutit à 24 cas (soit 11%) de décès maternels au niveau des structures de soins [2].
Le partogramme (appelé aussi partographe) est un outil clé pour le suivi de l'évolution du travail d'accouchement[3]. Il reste le seul instrument idéal dans des situations où les ressources sont limitées et où 99% des décès maternels et néonatals se produisent [1, 4]. A part un personnel qualifié, il ne nécessite que de remplir un formulaire au fur et à mesure que le travail évolue. Il aide les cliniciens à mieux communiquer entre eux, dans les FOSA souvent en manque de personnel.
Malgré le fait qu'il y ait un consensus général dans le domaine de la santé maternelle et infantile sur l'importance du partogramme pour suivre le travail d'accouchement, il existe encore un besoin de prouver son effet sur le devenir de la santé de la mère et du nouveau né [5]. En 2009 une revue de littérature a recommandé que le partogramme soit utilisé à large échelle dans les régions à ressources limitées parce qu'il est pratique, abordable et donne de bons résultats quand il est utilisé correctement [3]. Néanmoins, malgré la promotion du partogramme par l'Organisation Mondiale de Santé (OMS) et autres organisations internationales depuis des décennies, les études montrent que son utilisation est beaucoup plus exception que routine [6-8]. Peu d'études se sont adressées aux agents de santé pour s'enquérir des barrières à l'utilisation du partogramme. La plupart des études qui recueillent des informations auprès des prestataires sont quantitatives et se sont concentrées sur la connaissance de l'outil par le prestataire, qui est souvent faible [9-11]. A ce jour, les auteurs de la présente publication ne connaissent aucune littérature publiée sur la perception des prestataires sur le partogramme.
Le Burundi fait partie des pays à ressources limitées ayant un taux de mortalité maternel élevé et qui sont entrain de conduire des EB SONU, afin d'identifier les domaines les plus nécessiteux et réorienter leurs ressources vers des interventions permettant de réduire cette mortalité. L'EB SONU de 2010 au Burundi a trouvé que seules 84% des FOSA enquêtées ont utilisé le partogramme au moins une fois pendant les 3 mois précédant l'enquête. Des 44 FOSA enquêtées qui n'utilisent pas le partogramme, 45% ont dit que le facteur limitant était l'absence de formation, 43% ont indiqué que les formulaires n'étaient pas disponibles, et 30% n'avaient pas assez de temps pour remplir le partogramme. Récemment, le MSPLS a augmenté ses efforts pour renforcer l'utilisation du partogramme au niveau national, notamment avec des formations et des visites de supervisions intégrées.
Cette étude qualitative, faisant partie de l'EB SONU, contribue à la littérature sur le partogramme en demandant à différentes catégories du personnel de santé leurs perceptions sur le partogramme et les barrières à son utilisation, dans le contexte du système de santé burundais.
Trois types de données ont été collectés: les interviews, les focus groups et les questionnaires. Huit prestataires ont été interviewés, y compris quatre médecins, deux infirmiers, et deux sages-femmes. Quatre focus groups ont été conduits au niveau des FOSA, recrutés dans trois hôpitaux de district (deux en milieu urbain et le troisième en milieu rural), deux centres de santé en milieu rural et une clinique libérale.
Les interviews et focus groups ont été généralement conduits en français mais parfois le Kirundi était utilisé dans les réponses. Ils ont été enregistrés puis transcrits et tous les documents transcrits ont été revérifiés par les chercheurs dans un souci de précision. Les sections en Kirundi ont été traduites en français par des médecins burundais qui parlent couramment le français. Les questionnaires étaient en français et avaient des questions fermées ; les résultats ont été traités avec Microsoft Access.
Les documents transcrits ont été analysés indépendamment avec Weft QDA [12] par les deux premiers auteurs, afin d'identifier les thèmes clés. Les divergences ont été résolues par la discussion et le consensus de tous les auteurs. Les thèmes clés ont été regroupés dans des narratifs explicatifs.
L'étude a été approuvée par le comité national d'éthique au Burundi, comme partie intégrante de l'EB SONU. Tous les répondants ont donné leur consentement avant de participer à l'étude.
Facteurs décourageant son utilisation
Les mêmes prestataires qui apprécient le partogramme trouvent quand même qu'ils peuvent s'en passer. Un des médecins interviewé a répondu que « avec beaucoup d'années d'expérience on peut suivre un travail même si on ne le suit pas sur un partogramme » surtout dans les cliniques privées où le suivi est beaucoup plus personnalisé, et que « de toutes façons dans 80-90% des accouchements c'est normaux ».
Découlant de cette perception des choses, les interviews et focus groups ont également révélé que certains facteurs systémiques étaient à l'origine d'une faible et mauvaise utilisation du partogramme.
Une grande charge de travail a été souvent incriminée par les cliniciens. Selon une infirmière : « chaque fois qu'on demande un travail supplémentaire d'écrire, ca devient une contrainte'aussi bien pour les infirmières que pour les médecins' ». Dans le même sens, selon un médecin : « ce qui les décourage pour je dirai ceux de l'hôpital, c'est le volume de travail, ils disent que c'est un travail supplémentaire ». Il a été souvent évoqué qu'utiliser le partogramme était contraignant, que c'était un surplus à la charge de travail déjà sur leurs épaules. Le remplissage du partogramme ne va pas alors se dresser sur la liste de leurs priorités : « quand on est tiraillée à gauche comme à droite ». Nos interviews ont trouvé que cette situation est la même dans les structures publiques et privées, en gardant à l'esprit que dans ces dernières, la surcharge de travail peut mener à une réclamation d'augmentation de salaire.
Plusieurs prestataires ont attribué la surcharge du travail à une lacune en personnel qualifié notamment dans la section maternité. Une infirmière a affirmé que « quand tu as assez de gens tu remplis tout correctement » et une autre de répondre « le temps manque et puis le personnel aussi qui'je crois que c'est beaucoup plus une question de ressources humaines ». Dans un des hôpitaux visités, l'interviewé a répondu, «celles qui savent (utiliser le partogramme) je dis qu'elles sont très peu. C'est une seule qui est en obstétrique et une autre qui est en gynécologie . alors à elles seules, elles disent qu'elles ne peuvent pas utiliser ça, parce qu'il y a beaucoup d'accouchements. »
Certains interviewés ont rapporté qu'il existe un problème de formation du personnel de santé dans l'utilisation du partogramme, au niveau de toutes les catégories de personnel. Le curriculum de formation des infirmières n'exige pas la formation sur le partogramme. D'une sage-femme : « Peut être maintenant on veut revoir le curricula. Je ne sais pas si on va faire, mais avant ce n'était pas inclus ». Même certains médecins, qui sont souvent formateurs dans les écoles paramédicales ne savent pas utiliser le partogramme « absolument, c'est eux (médecins généralistes) qui sont les plus nombreux, et la plupart ne savent pas utiliser le partogramme ».
Aussi, une absence de rigueur dans l'utilisation du partogramme de la part des superviseurs a été incriminée pour une ambiance où le partogramme n'est pas pris au sérieux. Un médecin dit que « c'est toujours la mise en pratique qui pose problème' en terme de ce que chacun fasse ce qu'il doit faire' non, absence de rigueur'si on est rigoureux de principe c'est toute une chaine : on est rigoureux dans sa prescription comme dans son contrôle ». Et à un autre d'ajouter « c'est beaucoup plus un problème de rigueur, de systématisation qui cause problème ».
Une discussion en focus group a également révélé que « s'il y a eu les morts ça donne l'entrée aux conflits entre médecins et infirmières parce que souvent si on voit le partogramme et qu'il y a eu l'accident, on peut voir si la femme n'a pas été bien surveillée ». Cet état des choses va alors décourager les cliniciens à utiliser le partogramme.
Eléments favorables à son utilisation
Les prestataires qui ont bien assimilé le partogramme et qui sont habitués à l'utiliser ne l'identifient pas comme un surplus de travail : « en tout cas le partogramme ne prend pas beaucoup de temps' quand on prend une fiche d'accouchement, on le fait immédiatement avec le partogramme » (infirmière chef de poste). Plutôt, ils trouvent que cet outil les « rend confortables » dans la conduite de leur travail. « Moi je pense, si on considère l'importance du partogramme, ailleurs dans d'autres hôpitaux, là où ils n'ont pas encore bien compris son utilité, je pense que c'est par inhabitude. Parce qu'il y a un certain nombre de FOSA où c'est nouveau pour eux.»
Pour motiver son personnel à utiliser le partogramme, un des interviewés a introduit avec succès une motivation financière : « la contractualisation . oui, c'est ca. Alors là on a décidé de commencer avec le partogramme' Elles (les infirmières) sont d'accord.»
Cette étude est la première connue par les auteurs qui recueille l'opinion des prestataires sur le partogramme d'une manière qualitative. Les résultats ont relevé plusieurs aspects importants sur l'utilisation du partogramme au Burundi. Premièrement, c'est encourageant que tous les prestataires interviewés connaissent le partogramme et aient pu mentionner quelques qualités du partogramme. L'appréciation du partogramme était unanime, quant à son rôle d'outil d'alerte qui permet une bonne surveillance du travail d'accouchement et une prompte réaction en cas de problème. Ceci est particulièrement parlant parce que contrairement à l'étude du Delta du Niger où 84% des sages-femmes savaient ce qu'était un partogramme, on remarque que seuls 92,7% précisaient également que le partogramme était utilisé pour diminuer la mortalité maternelle et néo-natale [13].
Cependant, pour plusieurs, ces avantages restent théoriques. Les interviews et focus groups ont révélés plusieurs problèmes qui découragent l'utilisation du partogramme: une surcharge du travail couplée au manque de personnel, une faible formation du personnel et une faible supervision du partogramme. D'autres études font part d'observations similaires [13-15]. Le partogramme est censé réduire le travail, mais avec un personnel déjà réduit et un travail abondant, le personnel ne voudra pas adopter un nouveau système d'enregistrement, surtout si cela n'est pas valorisé par les superviseurs. Même si le partogramme est censé éclaircir les décisions et la communication pendant le travail d'accouchement, il ne peut jouer son véritable rôle que si les cliniciens de tous les niveaux sont formés à l'utiliser correctement.
Dans certaines circonstances, l'outil n'est utilisé que pour éviter des représailles de la part des supérieurs, souvent rempli à posteriori et donc n'ayant pas servi son rôle de surveillance du travail. Dans d'autres cas, il est considéré inutile pour les prestataires ayant un certain niveau d'expérience ou ceux n'ayant pas beaucoup de parturientes. Dans bien d'autres cas, le partogramme est même perçu comme une surcharge de travail sans valeur ajoutée.
La formation des prestataires sur l'utilisation du partogramme et la disponibilisation des formulaires n'a pas suffit pour que le partogramme soit utilisé en routine. Il a été noté que savoir utiliser le partogramme sans être imprégné de son importance par rapport aux autres documents utilisés en salle d'accouchement fait qu'il n'est perçu que comme une contrainte. Ceci est particulièrement vrai pour ceux qui le perçoivent comme un simple outil de travail plutôt qu'un outil qui peut sauver des vies.
Les aspects du partogramme perçus comme positifs étaient plutôt du niveau individuel, contrastant avec les obstacles plus systémiques. Les obstacles sont très liés l'un à l'autre, et ont les racines dans l'organisation des soins obstétricaux en générale. Une intervention qui essaie de s'attaquer à un seul ou deux de ces facteurs n'aura pas forcement succès.
Le partogramme est un outil important qui peut servir à améliorer la qualité des soins et sauver des vies. Cependant, comme l'illustrent certains participants, savoir l'utiliser n'est pas une fin en soi : elle nécessite un contexte favorable [16]. Cette étude sur la perception des prestataires des formations sanitaires du Burundi révèle que le partogramme n'est pas aussi utilisé ainsi qu'on pourrait le supposer. Un personnel qualifié est un des piliers importants en santé maternelle. Le besoin d'augmenter le personnel qualifié dans les maternités est plus qu'urgent dans les structures sanitaires du Burundi. L'inclusion du partogramme dans le curriculum de formation des écoles d'infirmiers, sages-femmes et médecins est impérative pour répondre à ce besoin. Une réorganisation du système de santé devrait suivre les formations sur le partogramme, pour qu'il ne soit pas perçu comme un formulaire de plus à remplir. Il y a possibilité de fusionner les informations des fiches de maternité au partogramme pour contourner cet obstacle. Les responsables du MSPLS ont besoin de s'impliquer plus et sensibiliser les prestataires sur l'utilité de cet outil et son importance dans la réduction de la morbidité et mortalité maternelles
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêt.
Tous les auteurs ont contribué à la conduite de ce travail de recherche et à la rédaction du manuscrit. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.
Nos remerciements vont au Fond Thématique pour la Santé Maternelle de l'UNFPA et à l'UNICEF pour le financement de l'EB SONU au Burundi et la préparation de cet article, ainsi qu'au Dr. Déo Manirakiza UNICEF RCA (UNICEF Burundi à l'époque) pour avoir organisé l'aspect logistique de cette étude. Notre sincère gratitude va aux professionnels de santé qui ont donné de leur temps pour répondre aux interviews et leurs contributions sont très appréciées.
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