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La dysplasie ectodermique anhydrotique : à propos d’un cas au Centre Mère et Enfant de la Fondation Chantal Biya, Yaoundé, Cameroun

La dysplasie ectodermique anhydrotique : à propos d’un cas au Centre Mère et Enfant de la Fondation Chantal Biya, Yaoundé, Cameroun

 

 

Chelo David1,2,&, Njiki Kinkela Mina1, Monebenimp Francisca2,Nguefack Séraphin², Ngaha Augustin², Tietche Félix1,2

1Centre Mère et Enfant de la Fondation Chantal BIYA, Yaoundé, Cameroun; ²Faculté de Médecine et des Sciences Biomédicales Université de Yaoundé I, Cameroun; † Décédé le 16 Mai 2009

 

& Auteur correspondant

Chelo David, Centre Mère et Enfant de la Fondation Chantal BIYA, Rue Henri Dunand, BP 1936 Yaoundé Cameroun. Téléphone: +237 99724800

 

 

 

Introduction

Les dysplasies ectodermiques (DE) sont des maladies génétiques le plus souvent héréditaires [1-3]. Il s’agit d’un groupe large et hétérogène de maladies rares. Elles se caractérisent par l’absence ou la dysplasie de certains tissus d’origine ectodermique (généralement les dents, les cheveux, la peau). Deux groupes se distinguent cliniquement : le syndrome de Clouston ou dysplasie ectodermique hidrotique, transmis selon le mode autosomique dominant et le syndrome de Christ – Siemens – Touraine, à transmission récessive liée au chromosome X [4].

 

Patient et observation

 

NP, garçon de 7 ans et demi est amené en consultation le 11 Septembre 2006 par sa mère pour retard de dentition et sensation exagérée de chaleur.

 

La mère  de NP avait constaté que depuis la naissance, ce dernier  était très mal à l’aise quand la température ambiante s’élevait. Cette impression s’est établie avec le temps. L’enfant se plaint constamment de sensation de chaleur quand bien même l’entourage ne sent pas une réelle augmentation  de température. Cette perception excessive de chaleur l’emmène à rester régulièrement torse et membres nus, à se verser très souvent de l’eau sur le corps et à boire beaucoup d’eau. Malgré cette  sensation de chaleur, NP ne transpirait par contre jamais.

A cet âge, NP n’a eu que cinq dents apparues selon la chronologie suivante : 2 incisives supérieures (51 et 61), cunéiformes,  apparues à l’âge de 4 mois. Elles ont chuté à l’âge de 7 ans 4 mois et ont été remplacées par deux autres dents identiques aux premières (11 et 21). A 6 ans et demi 3 prémolaires maxillaires ont fait leur éruption (25, 16,26).

 

La mère précise que la peau de NP est régulièrement sujette à de petites éruptions érythémato-papuleuses et prurigineuses. Le grattage provoque de petites plaies qui cicatrisent assez rapidement.

 

La mère de NP avait 22 ans à la naissance de celui-ci tandis que son père était âgé de 36 ans. La grossesse a été bien suivie et s’est déroulée sans particularité. En dehors du fer et de l’acide folique (foldine), on ne note pas de prise d’autres médicaments pendant la grossesse. L’accouchement s’est déroulé normalement. NP n’avait pas été réanimé et pesait 3500 grammes. Sa taille était de 51 cm à la naissance. Il est le premier d’une fratrie de trois enfants. Son frère et sa sœur cadets âgés respectivement de 4 et 2 ans et demi se portent bien. Ils ont une denture normale pour leur âge et ne posent pas de problème de sudation. Une enquête familiale a été faite sur trois générations  antérieures à celle de NP. Aucune autre anomalie dentaire semblable n’a pu être retrouvée. NP est bien vacciné et a eu jusqu’alors un développement psychomoteur dans les limites de la normale. Il s’est en effet assis tout seul dès l’âge de 5 mois, a marché à l’âge de 10 mois et parle couramment depuis l’âge de 28 mois.  Il était en classe de cours élémentaire première année au moment de la consultation à l’âge de 7 ans et demi. Son alimentation est faite essentiellement d’aliments mous, parfois écrasés sous forme de purée. Quand le repas contient le poisson, il est émietté et quand il s’agit de la viande, elle est soit écrasée, soit mâchée.

 

A l’examen physique, NP a un bon état général. Il pèse 20 kg pour une taille de 116 cm. Son périmètre crânien est de 51 cm. Ses cheveux sont totalement défrisés et clairsemés. Les oreilles sont normalement implantées, mais les pavillons sont larges et trop écartés de la tête. Les muqueuses et sclérotiques sont bien colorées. Les sourcils sont rares et duveteux. Les lèvres sont épaisses. On note de nombreuses cicatrices de prurigo strophulus disséminées sur tout le corps. L’examen de la cavité buccale permet de mettre en évidence deux incisives centrales larges sur la mâchoire supérieure (il s’agit de dents 11 et 21, cunéiformes, pointues à leur extrémité occlusale) (Figure 1). On note également une prémolaire et une molaire maxillaire gauche (25 et 26) et une à droite (16) sur la même mâchoire. On note une anodontie mandibulaire. Le reste de l’examen physique est tout à fait normal.

 

Cet aspect très évocateur de la denture, consolidé par le type particulier de la chevelure, des lèvres et des oreilles, fait évoquer la possibilité d’une dysplasie ectodermique. L’histoire de sensation exagérée de chaleur et paradoxalement d’absence totale de sueur fait suspecter une absence de glandes sudoripares. C’est ainsi que, le diagnostic de Dysplasie Ectodermique Anhidrotique (DEA) ou Syndrome de Christ-Siemens-Touraine a été discuté devant ce tableau.

 

Le bilan thyroïdien incluant TSH et T3 était normal (TSH à 2,79 µUI/ml et T3 à 1,80 ng/ml). La radiographie du panoramique dentaire a révélé une résorption alvéolaire avec absence de nombreuses dents supérieures et de toutes les dents inférieures. Une biopsie cutanée a  été faite au dos sous l’omoplate gauche. L’examen histologique a montré l’absence totale de glandes sudoripares et la rareté de follicules pilosébacés (Figure 2). Une consultation génétique n’a pas pu être faite faute d’expertise.

 

Une consultation en odontostomatologie a été conseillée aux parents dans le but de proposer un traitement prothétique pour une meilleure fonctionnalité et une correction du préjudice esthétique. Elle a aboutit à la mise en place d’une prothèse partielle sur la mâchoire supérieure (laissant en place les deux incisives centrales) et une prothèse totale sur la mandibule (figure 3). NP a retrouvé une sérénité. Il a désormais une alimentation normale comme tous les enfants de son âge et sa denture n’est plus l’objet de curiosité et de moqueries de la part des ses camarades. Revu quatre mois après la pose des prothèses dentaires, il était enjoué et avait pris 3,5 kg de poids.

 

 

Discussion

 

L’enfant NP à première vue avait un physique particulièrement frappant du fait de ses cheveux défrisés, ses lèvres épaisses, ses larges pavillons d’oreilles et de l’aspect cunéiforme de ses deux incisives supérieures à l’ouverture de la bouche.      

 

Le diagnostic de Dysplasie Ectodermique a été retenu sur la base des arguments cliniques à savoir : l’oligodontie, la forme caractéristique des dents ainsi que l’aspect évocateur des cheveux et des lèvres. La sensation exagérée de chaleur, plus encore l’absence totale de transpiration et les résultats de la biopsie cutanée montrant une absence totale de glandes sudoripares sont en faveur d’une dysplasie de type anhidrotique. Cette agénésie des follicules pilo-sébacés et des glandes sudoripares a été retrouvée par Miakayizila et al. [5] chez un patient du CHU de Brazzaville qui présentait des symptômes identiques à ceux de notre patient. A la différence que leur patient qui avait été en hospitalisation pour hyperthermie maligne (42°C) était sujet à des épisodes fréquents de fièvre alors que chez notre patient, sa mère rapporte que les épisodes de fièvre bien que fréquents avant l’âge d’un an étaient devenus rares par la suite. Le fait de rester constamment torse et membres nus et de se verser fréquemment de l’eau sur la peau contribuerait considérablement à garder une température supportable voire normale chez ce dernier. Mais comme conséquence de l’absence fréquente de vêtements, sa peau subit des piqures d’insectes à l’origine des lésions de prurigo qui ont été observée. De plus, la famille de l’enfant NP de condition socio-économique modeste ne pouvait s’offrir d’équipement (ventilateur) pour assurer une température acceptable à domicile.

 

Contrairement au Syndrome de Marshal qui comprend aussi les anomalies retrouvées chez notre patient, il manquait ici les anomalies oculaires et neurosensoriels qui prédominent dans le tableau clinique du Syndrome de Marshal [6]. 

 

Raap et Hodgkin en 1968 [7] décrivaient une Dysplasie Ectodermique Hypohidrotique. Contrairement au Syndrome de Christ-Siemens-Touraine dont la transmission est recessive et liée au chromosome X, dans le syndrome de Rapp-Hodgkin à transmission autosomique dominante, les patients ont une ectrodactylie, une petite bouche, un hypospadias et une fente labio-palatine.

 

Passarge et al décrivent en 1965 [8] une dysplasie ectodermique hypohidrotique. Plus tard, Gorlain et al [9] s’intéressant au même syndrome étudieront 18 pedigrees de familles atteintes. Il en est ressorti que les anomalies sont similaires à celles décrites dans le syndrome de Christ-Siemens-Touraine à la différence que les patients dans cette série souffraient très fréquemment de rhinorhhée purulente. Cette étude a surtout permis de noter que les filles sont aussi bien affectées que les garçons tandis que les parents des enfants atteints étaient normaux. Le mode de transmission ici est autosomique récessif.

 

Le poids de notre patient était inférieur à la normale pour l’âge. L’absence de dents le rendait incapable de mâcher les aliments solides. A partir de l’âge de 2 ans, l’essentiel des plats dans son milieu culturel étant à base d’aliments solides les parents trouvaient contraignant de faire tous les jours des purées pour un seul membre de la famille. Par conséquent les besoins alimentaires journaliers de l’enfant NP n’étaient pas couverts ; ce qui justifierait les troubles de croissance observées. La solution pour cette hypodontie est la confection d’une prothèse dentaire réalisée en plusieurs étapes telle que proposée par Badre et al [10]. Cette prothèse peut être de type amovible comme celle proposée par Nejar et al [11]. NP a bénéficié d’une prothèse partielle à la mâchoire supérieure et une complète à la mâchoire inférieure, toutes amovibles. Ces prothèses devront certainement subir des adaptations en fonction de la croissance et de l’âge de notre patient qui a eu une prise rapide de poids de 3,5 kg en 4 mois après pose de la prothèse. Cette croissance pondérale milite en faveur du rôle joué par cette denture anormale et les difficultés de s’alimenter repertoriées. Ce retard staturo-pondéral a également été retrouvé par Miakayizila et al [5].

 

Au fur et à mesure que NP grandissait, il était gêné par l’absence de dents ou la morphologie de celles qui avaient poussé. L’aspect épais de ses lèvres ainsi que la taille de ses oreilles lui donnaient un faciès particulier tel que mentionné par Artis et al [12]. Tout ceci suscitait la curiosité et la moquerie de ses camarades et constituait une charge psychologique. La pose des deux prothèses dentaires a considérablement changé l’aspect physique de sa bouche quand elle est ouverte si bien qu’il a recouvré une assurance et sérénité certaines

 

 

Conclusion

 

La dysplasie ectodermique est une maladie rare. Elle est responsable d’un préjudice esthétique et fonctionnel important chez le patient. L’anhidrose est responsable d’un inconfort, surtout en climat chaud et peut favoriser des températures corporelles très élevées. Il est judicieux de recommander aux professionnels de santé de donner aux parents des conseils sur les moyens physiques de lutte contre l’hyperthermie chez l’enfant. Par ailleurs, la mise en place de prothèses dentaires  est une solution  pour résoudre les problèmes d’alimentation ayant pour résultat une mauvaise croissance staturo-pondérale.

 

 

Figures

 

Figure 1: Deux incisives supérieures cunéiformes et lèvres épaisses

Figure 2: Biopsie cutanée au dos sous l’omoplate gauche montrant une fibrose dense du derme, des follicules pilo-sébacés résiduels et une absence totale de glandes sudoripares

Figure 3: Prothèse partielle sur la mâchoire supérieure (laissant en place les deux incisives centrales) et une prothèse totale sur la mandibule

 

 

Conflits d’intérêts

 

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

 

 

Contribution des auteurs

 

CD: Examen Clinique du malade et demande d’examens complémentaires; prise des photos; Prise de contact avec les odonto-stomatologues pour la pose des prothèses dentaires; Rédaction du présent article. NKM: Revue de la littérature, Discussion de l’observation. MF: Discussion de l’observation, Corrections diverses (dans le fond et la forme). NS: Discussion de l’observation, Recherche des articles pour la discussion du cas. NA: Corrections diverses, Discussion de l’observation. TF: C’est notre Maître qui nous a confié le malade pour le premier examen Clinique, Correction de l’observation, Première correction de la discussion.

 

 

Références  

 

  1. Pinheiro M, Freire-Maia N, Fernandes-Dos-Santos A.Trichoonychodysplasia with Xeroderma, and apparently hither to undescribed pure Ectodermal dysplasia.Rev.Brasil

 

  1. Mortier K, Wackens G.Ectodermal Dysplasia Syndrome Orphanet Encyclopedia.September 2009.http//www.orpha.net/data/patho/GB/uk-ectodermal-dysplasia-anhidrotic.pdf

 

  1. Pinheiro M, Freire-Maia N.Odonto-ungueal dysplasia: an apparently new autosomal dominant ectodermal dysplasia.Brazilian Journal of Genetics.1996;19(4):633-636

 

  1. Pinheiro M, Freire-Maia N.Ectodermal dysplasias: a clinical classification and a causal review.Am J Med Genet. 1994 Nov 1;53(2):153-62. This article on PubMed

 

  1. Miakayizila P, Peko JF, Ngouoni, Lenga-Loumingou I, Mayanda HF.A propos d’un cas de Dysplasie Ectodermique Anhydrotique au CHU de Brazzaville.Medicine d’Afrique Noire.2007;54: 8-9

 

  1. Shanske AL, Bogdanow A, Shprintzen RJ, Marion RW.The Marshall Syndrome: Report of a New Family and Review of the Literature. Am J Med Genet. 1997 May 2;70(1):52-7.. This article on PubMed

 

  1. Rapp RS, Hodgkin WE.Anhidrotic ectodermal dysplasia:Autosomal dominant inheritance with palate and lip anomalies.J Med Genet.1968; 5:269. This article on PubMed

 

  1. Passarge E, Nuzum CT, Schubert WK.Anhidrotic ectodermal dysplasia as autosomal recessive trait in an inbred kindred.Humangenetik.1966; 3:181. This article on PubMed

 

  1. Gorlain RJ, Old T, Adkins RS.Autosomal recessive hypohidrotic ectodermal dysplasia:Dental manifestations.Oral surg.1972; 33:736. This article on PubMed

 

  1. Badre B, Kaoun K, Bousfiha B, Bousfiha A, Msefer S.La Dysplasie ectodermique anhidrotique-A propos d’un cas Clinique.Journal dentaire du Quebec.2003;40

 

  1. Nejar R, Tougne JP.Intérêt des rehabilitations prothétiques amovibles en pédodontie.Actual Odonto Stomatol.1978; 121: 95-105

 

  1. Artis JP, Artis M, Cassang S.Conséquences dentaires et maxilla-faciales de la dysplasia ectodermique anhidrotique.Actual Odonto Stomatol.1992; 180:773-88