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La dépression dans le lupus érythémateux systémique: à propos d’un cas clinique

La dépression dans le lupus érythémateux systémique: à propos d’un cas clinique

Depression in patients with systemic lupus erythematosus: about a clinical case

Fouad Laboudi1,&, Ghizlane Slimani1, Mohamed Essaid Gourani1, Abderrazzak Ouanass1

 

1Service des Urgences Psychiatriques, Hôpital Psychiatrique Universitaire Arrazi de Salé, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Université Mohammed V, Rabat, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Fouad Laboudi, Service des Urgences Psychiatriques, Hôpital Psychiatrique Universitaire Arrazi de Salé, Faculté de Médecine et de Pharmacie, Université Mohammed V, Rabat, Maroc

 

 

Résumé

Dans le but d’illustrer l’importance des manifestations psychiatriques du lupus érythémateux systémique, nous rapportons le cas d’une jeune patiente âgée de 32 ans, n’ayant pas d’antécédents psychiatriques. Elle est suivie depuis un an pour lupus érythémateux systémique. Elle a présentée depuis 2 à 3 mois des manifestations psychiatriques faisant évoquer un épisode dépressif majeur, qui s’est bien amélioré sous traitement. Dans le lupus érythémateux systémique, la prise en charge doit être d'emblée multidisciplinaire afin d'assurer une cohérence parfaite indispensable à l'adhérence de la patiente au projet de soin.


English abstract

We here report the case of a 32-year old female patient with no past psychiatric history in order to highlight the importance of psychiatric manifestations of systemic lupus erythematosus. The patient was followed up for systemic lupus erythematosus over a period of one year. She had a 2-3-month history of psychiatric manifestations, suggesting a major depressive episode, with very favorable outcome under treatment. Systemic lupus erythematosus needs an immediate multidisciplinary approach to ensure a perfect coherence, essential to patient’s adherence to treatment.

Key words: Systemic lupus erythematosus, depression, corticosteroids, multidisciplinary approach

 

 

Introduction    Down

Le mot lupus signifie loup en latin a été employé dès la fin du moyen âge pour décrire des lésions cutanées de la face. Le lupus érythémateux systémique est une maladie auto-immune d'étiologie inconnue, et dont l'aspect clinique est très polymorphe. Elle est caractérisée par une production démesurée d’anticorps dirigés contre les structures du soi et par la diversité de ses manifestations cliniques [1]. Globalement, on observe une hyperactivité du système immunitaire humoral et cellulaire qui se traduit par une cascade d'événements inflammatoires à l’origine de la production de différents auto-anticorps et de diverses lésions. Il touche essentiellement les femmes à l'âge adulte. La maladie lupique évolue spontanément par poussées, entrecoupées de rémissions de durée et d’expression variables. Sur le plan psychiatrique, les symptômes peuvent aller de la simple irritabilité aux manifestations psychotiques, en passant par des états anxio-dépressifs qui accompagnent les poussées de la maladie. Il est parfois difficile d'attribuer au lupus érythémateux systémique certaines manifestations psychiatriques surtout quand la corticothérapie est déjà en cours [2]. L’évaluation de la dépression dans une population présentant le lupus érythémateux systémique présente des défis spécifiques. L'un des plus importants de ces défis c’est que les symptômes somatiques de la dépression chevauchement clairement avec les symptômes et les complications liés à la maladie, notamment la perte d'énergie, difficultés de concentration, de sommeil, la diminution de l’appétit et la prise de traitement. L'intérêt de notre observation découle du fait qu’un taux de prévalence plus élevée de la dépression se trouve chez les patients avec une maladie chronique [3]. A travers un cas clinique nous allons mettre le point sur un épisode dépressif majeur accompagnant le lupus érythémateux systémique tout en insistant sur la prise en charge qui doit être multidisciplinaire.

 

 

Patient et observation Up    Down

Il s’agit de Madame M.M âgée de 32 ans, mariée et mère de 2 enfants. Elle s’est présentée à la consultation de néphrologie pour l’administration d’un sixième bolus d’Endoxan. Dans ses antécédents; Elle est suivie au service de néphrologie depuis 2 ans pour un syndrome néphrotique sur néphropathie lupique proliférative diffuse, globale, active et chronique classe iv -g (a/c) stabilisé sous traitement. La patiente ne présentait pas de signes néphrologiques ou extra néphrologiques notables. La patiente ne présentait pas de signes de déshydratation aigue. Il n’y avait pas d’antécédents psychiatriques personnels ni familiaux, mais elle a rapportée une tristesse de l’humeur et une diminution marquée du plaisir pour toutes les activités toute la journée presque tous les jours évoluant depuis au moins deux mois. L’examen a trouvé une patiente en assez bon état général, apyrétique, consciente, eupnéique au repos, la tension artérielle était à 140/70 mmHg aux 2 bras, en position debout et couchée, pouls 85 bpm, diurèse conservée à 1 L200 et le poids à 42Kg. Le reste de l’examen somatique était sans particularités. Elle a été adressée à la consultation de psychiatrie pour complément de prise en charge.

 

L’examen psychiatrique a trouvé une patiente angoissée, ralentie avec une tristesse de l’humeur, avec une diminution marquée du plaisir pour toutes les activités toute la journée presque tous les jours, avec des idées d’incurabilité, mais sans délire patent ni troubles perceptifs. Des pensées de mort récurrentes étaient présentes. L’appétit était diminué. La patiente rapportait aussi des troubles de la concentration et une insomnie depuis 3 mois. Devant cette symptomatologie, et vu les plaintes psychiatriques, le diagnostic d’un épisode dépressif majeur a été retenu. Elle a été mise sous Escitalopram 10mg/j et Lorazepam 6mg/j à doses dégressives. La patiente a été vue à plusieurs reprises en consultation et l’évolution a été bonne sous Escitalopram 15mg/j.

 

 

Discussion Up    Down

Le lupus érythémateux systémique est maladie chronique qui affecte généralement plusieurs systèmes et d'organes, y compris le système nerveux central causant plusieurs syndromes neuropsychiatriques, y compris dépression [4]. Le lupus érythémateux systémique implique un large éventail de troubles neuropsychiatriques [5]. Ces troubles appariaient dans environ 70% des patients diagnostiqués avec le lupus érythémateux systémique [6]. Cependant, il y a une grande variété de ces manifestations, qui s'étend au-delà de celles identifiées dans les critères de classification de l’American College of Rheumatology (ACR) de 1999 pour le lupus érythémateux systémique [2,7] (Tableau 1).

 

L’incidence de troubles psychiatriques peut varier entre 17-75%. Cette grande variabilité est dû au manque de standardisation de critères diagnostiques pour les manifestations psychiatriques du lupus érythémateux systémique [8]. La dépression, apparaît comme la manifestation psychiatrique la plus fréquente et son incidence est très variable (2-54%) [9, 10] (Tableau 2).

 

Ses manifestations inaugurales sont faites: d’angoisse, ralentissement, tristesse de l’humeur, anhédonie, avec des idées d’incurabilité. Des pensées de mort récurrentes étaient présentes, l’appétit était diminué, des troubles de la concentration et une insomnie, le tout évoluant depuis 3 mois. Ce qui concorde avec le fait que la dépression est un trouble fréquent dans la population générale. En effet, une méta-analyse a montré que la prévalence d’un an et de durée de vie du trouble dépressif majeur ont été de 4,1% et 6,7% respectivement [11]. Une autre Métanalyse récente faite par Zhang et Al. [12], incluant 59 études, impliquant 10828 patients adultes atteints de maladie lupique a démontré sur des études utilisant des entrevues cliniques standard (DSM et/ou ICD) ont révélés que la dépression et l'anxiété majeures étaient présentées respectivement chez 24% et 37% chez les patients atteints du lupus érythémateux systémique, respectivement.

 

Chez cette patiente, le lien de cause à effet entre le lupus érythémateux systémique et la dépression ou les corticoïdes et la dépression n'a pas été établi, donc la comorbidité des deux troubles reste aussi probable. Les troubles psychiatriques présentés par la patiente sont-ils d’origine somatique ou d’origine psychiatrique? Faut-il suspecter un neurolupus ou évoquer un effet iatrogène des corticoïdes? Les principaux troubles psychiatriques du lupus érythémateux systémique sont la conséquence soit de microvasculopathie et de thrombose, ou d'auto-anticorps et des médiateurs inflammatoires. Le diagnostic de troubles neuropsychiatriques du lupus érythémateux systémique exige l'exclusion des causes secondaires [7]. En effet, les corticostéroïdes systémiques à forte dose occasionnent des symptômes psychiatriques chez 10% des patients traités pour un lupus érythémateux systémique, principalement sous forme de troubles de l’humeur et rarement d’ordre psychotique. Par conséquent, afin d’éviter ces effets secondaires, on administre aux patients la dose la plus faible possible des glucocorticoïdes [13]. Dans son enquête Laura, J. Julian et all. pour déterminer la dépression chez les personnes atteintes de lupus, ont trouvé que 17% des personnes répondaient aux critères de trouble dépressif majeur et 26% répondaient aux critères de trouble de l'humeur, y compris le trouble dépressif majeur, la dépression mineure et la dysthymie, à l'aide d'une entrevue clinique structurée et globale de la DSM-5 [14].

 

Par conséquent, le suivi de ces patients présentant une maladie chronique en particulier une maladie lupique doit comporter un suivi psychiatrique surtout des symptômes dépressifs. Une autre étude [15] indiquait que des niveaux plus élevés de douleur et de fatigue prévoyaient un risque plus élevé d'angoisse. De même, un niveau de fatigue plus élevé prévoyait une plus grande probabilité de dépression, ce qui était conforme avec ce qui était rapporté dans la littérature [16, 17]. Comme nous le savons tous, la douleur est une expérience inconfortable, entraînant généralement des troubles de l'humeur. Selon Waldheim et al. [17], Jump et al. [18] et van Exel et al. [19], un niveau de fatigue plus élevé a considérablement augmenté le risque d'angoisse et de dépression chez les patients atteints de lupus érythémateux systémique. La fatigue est actuellement comprise comme une « affaiblissement extrême et persistant, ou épuisement mentale, physique ou à la fois » [20]. C'est l'un des symptômes les plus fréquents chez les malades atteints du lupus érythémateux systémique, atteignant jusqu'à 90% des patients. Dans 50% d'entre eux, la fatigue est signalée comme le symptôme le plus invalide de la maladie [21, 22]. Ces résultats suggèrent que le renforcement de la prise en charge de la douleur et de la fatigue peut être utile pour contrôler la prévalence de l'anxiété et la dépression chez les patients atteints du lupus érythémateux systémique.

 

 

Conclusion Up    Down

Le lupus érythémateux systémique est très hétérogène dans sa présentation clinique. La dépression est une maladie fréquente dans le lupus qui peut être liée à des réactions psychologiques ou physiques à lupus ou les médicaments de lupus, ou une combinaison de ceux-ci, ou la dépression peut être indépendant. La prise en charge doit être d'emblée multidisciplinaire afin d'assurer une cohérence parfaite indispensable à l'adhérence de la patiente au projet de soin.

 

 

Conflits d’intérêts Up    Down

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs Up    Down

Tous les auteurs ont contribué à la conduite de ce travail. Tous les auteurs déclarent également avoir lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Tableaux Up    Down

Tableau 1: syndromes neuropsychiatriques du lupus érythémateux systémique définis par le collège américain de rhumatologie

Tableau 2: les critères diagnostic d’un épisode dépressif caractérisé du DSM-5 tel que proposés par l’american psychiatric association

 

 

Références Up    Down

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