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Atteinte laryngée révélatrice d’un lupus érythémateux systémique

 

Atteinte laryngée révélatrice d’un lupus érythémateux systémique

 

Salem Bouomrani1,&, Hanène Nouma1, Safouane Chebbi1, Maher Béji1

 

1Service de Médecine Interne-Hôpital Militaire de Gabes 6000, Gabès, Tunisie

 

 

&Auteur correspondant
Salem Bouomrani, Service de Médecine Interne, Hopital Militaire de Gabès, Gabès 6000, Tunisie

 

 

Résumé

L'atteinte laryngée est extrêmement rare au cours du lupus érythémateux systémique (LES). Elle survient classiquement au cours des formes évolutives et actives et n'est qu'exceptionnellement révélatrices. Nous rapportons l'observation d'une patiente âgée de 30 sans antécédents qui fût explorée pour une dysphonie d'aggravation progressive et trainante depuis trois ans. L'examen endoscopique du larynx montrait des kissing nodules de la commissure postérieure des cordes vocales. L'examen somatique trouvait une polyarthrite bilatérale, symétrique et distale. Le bilan biologique montrait un syndrome inflammatoire marqué, une leucopénie à 2400/mm3 et une lymphopénie à 1300/mm3. Les anticorps anti nucléaire étaient positifs à un titre supérieur à 80 avec des anti DNA natif et anti Sm positifs; de même que les anticardiolipine. Le scanner du larynx révélait un discret épaississement irrégulier postérieur des cordes vocales et une épiglottite. Le diagnostic d'un lupus était retenu et la malade était mise sous corticostéroïdes systémiques associés aux antipaludéens de synthèse avec orthophonie et repos vocal. L'évolution était favorable cliniquement et endoscopiquement. Depuis sa description initiale en 1959, plusieurs cas sporadiques d'atteinte laryngée ont été rapporté au cours du LES. La forme révélatrice n'est cependant signalée que seulement deux fois auparavant. Un examen laryngoscopique systématique s'impose ainsi chez tout patient lupique ; de même il convient de penser au LES devant toute atteinte laryngée qui ne fait pas sa preuve surtout chez la femme jeune.

 

 

Introduction

Décrite pour la première fois par Scarpelli DG. en 1959 [1], l'atteinte laryngée au cours du lupus érythémateux systémique reste très rare [2-5] et n'est qu'exceptionnellement symptomatique [6]. Avec son grand polymorphisme clinique et son évolution imprévisible, elle représente un vrai défit diagnostique et thérapeutique pour le clinicien [7]. Nous rapportons une observation originale où l'atteinte laryngée était le premier symptôme révélateur de la maladie lupique; situation signalée seulement deux fois auparavant dans la littérature mondiale.

 

 

Patient et observation

Mlle N.G. âgée de 30 ans, sans antécédents pathologiques notables fût exploré pour une dysphonie trainante depuis trois ans avec une aggravation progressive. Elle a été vue par des médecins généralistes et ORL de ville et traitée symptomatiquement mais sans amélioration.

 

Une dysphagie haute surtout aux aliments solides s'est associé à la dysphonie depuis quelques mois. L'examen physique montrait une polyarthrite inflammatoire, périphérique, bilatérale et distale des petites articulations (poignets, métacarpo-phalangiennes, inter-phalangiennes proximales et chevilles) sans autres anomalies. L'examen endoscopique du larynx montrait des kissing nodules de la commissure postérieure des cordes vocales. Le scanner du larynx révélait un discret épaississement irrégulier postérieur des cordes vocales et une épiglottite (Figure 1 et Figure 2).

 

Le bilan biologique révélait une vitesse de sédimentation élevée à 76 mm/H1, une leucopénie à 2400/mm3, une lymphopénie à 1300/mm3 et une infection urinaire à klebsiella oxytoca. Les radiographies standards des mains et des pieds n'ont pas montré de lésions ostéo-articulaires ni de déformations. Devant cette polyarthrite non destructrice ni déformante associée à une leuco-lymphopénie un lupus érythémateux systémique était suspecté. La recherche des auto-anticorps anti nucléaires (AAN) était positive à titre supérieur à 80. Les anticorps anti anti Sm et anti DNA natifs étaient aussi positifs de même que les anti phospholipides: anti cardiolipines de type IgG à 15 UGP/ml et anti '2GP1 à 23 UI/l.

 

La recherche d'une atteinte viscérale lupique est restée négative (examen des urines à la bandelette, protéinurie de 24h, hématies-leucocytes minute (HLM), créatinine sanguine, bilan hépatique, échographie abdominale, électrocardiogramme, radiographie standard de thorax, échographie cardiaque, ponction lombaire avec étude du liquide céphalorachidien, IRM cérébro-médullaire et consultation psychiatrique spécialisée). La fibroscopie digestive haute, demandée devant la dysphagie aux solides, n'a pas révélé d'anomalies.

 

Au terme de ce bilan, le diagnostic d'une atteinte laryngée rentrant dans le cadre d'un LES sans atteinte viscérale sévère était retenu et la malade était mise sous prednisone per os à la dose de 0.5mg/kg/j, hydroxychloroquine à la dose de 200mg/j et acide acétylsalicylique à la dose de 100mg/j. L'infection urinaire était traitée par ofloxacine à la dose de 400mg/j pendant dix jours avec stérilisation des urines au contrôle de 48h. Une orthophonie ainsi qu'un repos vocal étaient préconisés comme compléments thérapeutiques pour l'atteinte laryngée.

 

L'évolution était rapidement favorable avec disparition des arthrites au bout d'une semaine, régression nette de la dysphagie jusqu'à sa disparition au bout de dix jours et une reprise d'une voix normale au bout d'un mois. Le contrôle laryngoscopique était normal à un mois de la corticothérapie. La numération des cellules sanguines s'est normalisée au bout de deux mois.

 

 

Discussion

Depuis sa description initiale l'atteinte laryngée n'est rapportée que sous forme de cas sporadiques [8] mais elle est loin d'être rare. En effet à l'examen laryngoscopique systématique cette atteinte a été retrouvé chez 11 patients sur 12 dans la série de Ramos HV soit 91,6% [6].

 

L'atteinte laryngée survient classiquement chez les patients lupiques ayant une maladie connue et active mais peut exceptionnellement compliquer un lupus inactif ou éteint [9]. Une observation originale a été aussi retrouvée où la poussée lupique s'est résumé à un laryngolupus sévère [10].

 

Cette localisation n'est qu'exceptionnellement révélatrice de la maladie : seulement deux observations de laryngolupus révélateur de la maladie ont été rapporté dans la littérature mondiale [11-12]. Notre observation est, à notre connaissance, la troisième signalant une telle forme révélatrice.

 

L'atteinte du larynx au cours du LES peut être uni ou bilatérale [5,6,13-14] et parfois récurrente [3,13].

 

Cliniquement la traduction du laryngolupus est très polymorphe allant du simple enrouement de la voix à la détresse respiratoire aigue [4,7,8,15]. Parmi les autres symptômes possibles on peut citer la toux, la dyspnée inspiratoire, le stridor laryngé, la sensation de corps étranger dans les voies aériennes supérieures et la dysphonie [4,6,8,15].

 

L'examen laryngoscopique peut révéler un simple 'dème laryngé [4,6], une inflammation sévère avec formation de pseudo membranes [15], des ulcérations laryngées [15], une arthrite crico-aryténoïdienne [10] ou bien une paralysie des cordes vocales [8,13]. L'inflammation nodulaire du larynx avec en particulier des nodules jaunâtres transversalement répartis au niveau de la lamina propria reste l'aspect lésionnel le plus rencontré à l'examen endoscopique au cours du laryngolupus [6]. Plus rares sont les sténoses supra glottiques, les pseudotumeurs inflammatoires laryngées, les épiglottites et les vascularites nécrotiques du larynx [7]. En effet dans la plus grande revue de la littérature faite par Teitel AD et regroupant 97 cas de laryngolupus, l'oedème laryngée et la paralysie des cordes vocales étaient les manifestations les plus fréquentes; retrouvées respectivement dans 28 et 11% des cas [7].

 

Cette localisation habituellement bénigne de lupus peut être potentiellement grave par ses conséquences menaçant parfois le pronostic vital [4,15]; en particulier si obstruction des voies aériennes supérieures [3] ou paralysie bilatérale des cordes vocales [8,10]. L'enregistrement électro-myographique laryngé (muscles cricothyroïdiens et thyroarythénoïdiens) représente un examen très utile pour diagnostiquer et évaluer l'atteinte neuromusculaire laryngée ; forme potentiellement la plus grave [3].

 

Le laryngolupus peut par ailleurs cacher une atteinte digestive haute associée, essentiellement de type reflux gastro-'sophagien [6] comme en témoigne la fréquence particulière de l'oedème et de l'épaississement de la région inter aryténoïdienne, un oedème angioneurotique associé [16], une papillomatose laryngo-trachéale associée [17] ou bien un cancer laryngé sous jacent [18].

 

De même il convient de ne pas oublier devant de tels symptômes, l'éventualité d'une infection laryngée sévère; surtout chez les lupiques recevant une corticothérapie systémique au long cours ou une immunosuppression: en effet des observations de nocardiose laryngée [19], d'histoplasmose laryngée [20], d'abcès laryngé [21] et d'épiglottite pneumococcique [22] sont rapportées au cours du LES.

 

Le laryngolupus répond classiquement bien à la corticothérapie systémique [4,5,7-8] mais certaines formes graves peuvent nécessiter des gestes invasifs tels qu'une trachéotomie [8,10], une intubation et une ventilation mécanique [16] ou bien l'intervention chirurgicale [15].

 

 

Conclusion

Loin d'être rare histologiquement, l'atteinte laryngée n'est que rarement symptomatique au cours du LES. Elle peut exceptionnellement révéler la maladie et en conditionner le pronostic. Un examen laryngoscopique s'impose chez tout lupique afin d'évaluer le degré d'atteinte des différentes structures laryngées. Cet examen est d'autant plus impératif que le patient présente des symptômes laryngés même minimes. Il convient de même de rechercher un LES devant toute atteinte laryngée qui ne fait pas sa preuve; en particulier chez la femme jeune.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucuns conflits d´intérêts.

 

 

Contributions des auteurs

Dr Salem BOUOMRANI: rédaction du manuscrit; Tous les auteurs ont contribué a la prise en charge du patient (diagnostic clinique, traitement et suivi). Tous les auteurs ont lu et approuvé le manuscrit final.

 

 

Figures

Figure 1: TDM du larynx en coupe axiale passant par l’épiglotte montrant l’épiglottite (épaississement marqué de l’épiglotte).

Figure 2: TDM du larynx en coupe axiale passant par les cordes vocales montrant l’épaississement irrégulier et bilatéral des cordes vocales.

 

 

Références

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