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Syndrome d’Allgrove découvert sur une anémie ferriprive chez un enfant de 3 ans

Syndrome d’Allgrove découvert sur une anémie ferriprive chez un enfant de 3 ans

 

Rim Amrani1,&, Anass Es-seddiki1, Anass Ayyad1, Sahar Messaoudi1, Nassira Tazi2

 

1Service de Pédiatrie, Centre Hospitalier Universitaire Mohamed VI, Faculté de médecine et de pharmacie d’Oujda, Université Mohammed Premier, Oujda, Maroc, 2Service de Pédiatrie, Hôpital l Farabi, Oujda, Maroc

 

 

&Auteur correspondant
Rim Amrani, Service de Pédiatrie, Centre Hospitalier Universitaire Mohamed VI, Faculté de médecine et de pharmacie d’Oujda, Université Mohammed Premier, Oujda, Maroc

 

 

Résumé

Nous rapportons l'observation d'un enfant de 03 ans, qui s'est présenté en consultation pour une anémie hypochrome microcytaire ferriprive traînante 18 mois auparavant, et qui a été mis sous traitement symptomatique (fer) mal suivi en ambulatoire. Au cours de l'examen clinique, nous avons découvert une pigmentation péri buccale, de la face dorsale des mains, des plis de flexion palmaires, des organes génitaux externes, des pieds, ainsi que des macules pigmentées au niveau des deux jambes, apparue 6 mois auparavant et passée inaperçue. Devant ce tableau clinique, un bilan biologique a montré des hypoglycémies, un taux de Cortisol de 8 heures du matin effondré, un taux de Rénine bas, un taux d'ACTH élevé, un test au Synacthène® négatif, ce qui nous a permis d'évoquer une insuffisance surrénalienne. Un bilan étiologique a été réalisé dont un bilan immunologique avec un dosage de la 17 hydroxy-progestérone, des anticorps anti 21 hydroxylase, des anticorps anti-thyroglobuline et des acides gras à très longues chaines, et qui est revenu normal. Le bilan infectieux et radiologique a été normal. Une alacrymie a été suspectée et alors confirmée par un test de Schirmer positif, ce qui rentre dans le cadre d'une forme incomplète du syndrome d'Allgrove ou syndrome des 3A fait habituellement d'anémie, d'insuffisance surrénalienne et d'achalasie (inconstante).

 

 

Introduction

L'insuffisance surrénale (IS) est une maladie relativement rare (90 à 140 cas par million d'habitants) [1], mais grave si elle n'est pas diagnostiquée et traitée vu le risque d'évolution vers l'insuffisance surrénale aiguë qui peut être mortelle. L'insuffisance surrénale peut être primaire et alors le plus souvent due à une lésion auto-immune, génétique ou à une tuberculose. Elle peut être secondaire à un déficit corticotrope et alors secondaire à une corticothérapie ou à une lésion hypothalamo-hypophysaire [1,2]. Nous rapportons le cas d'un enfant de 3 ans, ayant présenté une insuffisance surrénale révélée par une mélanodermie isolée et une anémie associée à une alacrymie, faisant découvrir un syndrome d'Allgrove.

 

 

Patient et observation

Il s'agit d'un enfant âgé de 3 ans, avec des antécédents d'anémie ferriprive évoluant depuis 18 mois, suivi en ambulatoire, ayant consulté pour persistance de l'anémie chez qui on a découvert une pigmentation cutanée apparue 6 mois auparavant et passée inaperçue. Le patient n'a pas présenté d'asthénie mais une stagnation pondérale à 10 kg pendant plus de 12 mois avec moins 4 déviations standards (DS) sur le poids, moins 3 DS sur la taille et une tension artérielle correcte. L'examen a montré une pigmentation péri buccale, de la face dorsale des mains, des plis de flexion palmaires, des organes génitaux externes et des pieds, ainsi que des macules pigmentées au niveau des deux jambes (Figure 1, Figure 2, Figure 3). La numération formule sanguine a montré un taux d'hémoglobine à 8.9g/dl, un volume globulaire moyen (VGM) à 68fl, une concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine (CCMH) à 28.6 g/dl et une ferritinémie à 6.61 nanogramme (ng)/ml, les chiffres glycémiques ont varié entre 0.45g/l à l'admission et 1,20 g/l, une natrémie à 142 mmol/l et une kaliémie à 4,8 mmol/l. La cortisolémie de base a été très effondrée à 3,55 microgramme (µg)/dl, la Rénine à 2.50 picogramme (pg)/l, le taux d'ACTH plasmatique élevé à 354 pg/ml, le cortisol plasmatique dosé 60 minutes après l'injection intramusculaire de 0.25 mg de tétracosactide (Synacthène®) a été de 3,72 microgramme µg/dl.

Le diagnostic d'une insuffisance surrénale primitive ou maladie d'Addison a été ainsi retenu. La fonction rénale et hépatique ont été correctes. Le bilan thyroïdien (TSH- T4- T3) a été normal ainsi que le bilan phosphocalcique (calcémie- phosphorémie- parathormone). Le dosage des anticorps anti-transglutaminases Ig G a été normal. Le bilan infectieux a été négatif (tuberculose- CMV et sérologie HIV). Un bilan immunologique dont le dosage de la 17 hydroxy-progestérone (0.10 ng/l), des anticorps anti 21 hydroxylase (0.92 U/ml), des anticorps anti-thyrogloguline (< 70UI/l) et des acides gras à très longues chaines a été normal ainsi que le bilan radiologique dont l'âge osseux, la radiographie de poumon, l'échographie abdominale, la TDM abdominale et l'IRM cérébrale. L'enquête étiologique de l'IS a été complétée par un examen ophtalmologique à la recherche du syndrome d'Allgrove (ou syndrome des 3A) .Dans ce sens, un interrogatoire poussé avec les parents, a retrouvé une alacrymie qui a été négligée, et qu'on a confirmé par un test de Schirmer, mais sans achalasie. L'enfant a été traité par hydrocortisone à la dose de 10 mg/m²/j, avec une nette amélioration clinique (Figure 4), une correction de sa glycémie et une reprise pondérale. Il a été mis en parallèle sous traitement par des larmes artificielles. Par ailleurs, l'anémie s'est corrigée rapidement au bout d'un mois du début traitement. L'enfant est suivi en consultation, avec un contrôle régulier de ses chiffres tensionnels et de sa glycémie. Une carte d'insuffisant surrénalien lui a été remise.

 

 

Discussion

L'insuffisance surrénale lente primitive chronique ou maladie d'Addison est liée à un dysfonctionnement de la glande surrénale. Elle comporte un déficit en hormones surrénaliennes [3,4]. Chez cet enfant, malgré l'absence de signes généraux (asthénie et hypotension artérielle) et l'existence d'une mélanodermie qui est caractéristique de la maladie d'Addison, l'insuffisance surrénale a été recherchée devant la localisation de la pigmentation aux régions découvertes et aux plis de flexion, ainsi que la présence de tâches ardoisées et l'hypoglycémie découverte à l'admission [3, 5, 6]. La rareté de la pathologie et le caractère non spécifique de l'asthénie peuvent retarder le diagnostic ; ce qui a été le cas de notre patient qui a été suivi pour son anémie pendant 18 mois sans que le diagnostic ne soit posé. La mélanodermie a des caractéristiques spécifiques ; elle est différente de la pigmentation de l'hémochromatose et de la porphyrie cutanée tardive [3]. Une pigmentation cutanéo-muqueuse peut aussi être observée lors de l'exposition chronique à des métaux (mercure, plomb, argent, etc.) [3]. Les dosages hormonaux (cortisol, ACTH, rénine et le test au Synacthène®) ont confirmé notre diagnostic [6-8]. Les désordres électrolytiques (hyponatrémie et hyperkaliémie habituellement rencontrés dans l'IS chez l'enfant [1,4]), n'ont pas été notés chez notre patient. Le diagnostic de l'insuffisance surrénale aurait pu alors rester méconnu et n'aurait été fait que devant un tableau d'insuffisance surrénale aigüe.

Chez cette enfant, le bilan tuberculeux a été négatif; étiologie classiquement retrouvée dans un pays endémique comme le Maroc, la sérologie CMV et VIH ont été négatives. Le dosage des anticorps anti-transglutaminases, devant le retard staturo-pondéral et l'anémie trainante, a été normal. L'exploration de la fonction thyroïdienne et parathyroïdienne à la recherche d'endocrinopathie a été normale. Le taux de la 17 hydroxy-progestérone a été normal éliminant ainsi l'hyperplasie congénitale des surrénales qui représente l'une des étiologies de l'IS chez le nourrisson et l'enfant [4]. Le dosage des anticorps anti-thyroglobuline a été normal ainsi que le taux d'anticorps anti 21 hydroxylase éliminant ainsi les causes auto-immunes de l'IS [3, 4, 6]. Le dosage des acides gras à très longues chaines dans le cadre de l'adrénoleucodystrophie (ADL); retrouvée parmi les étiologies de l'IS, a été normal [6, 9]. L'enquête étiologique de l'IS a été complétée par un examen ophtalmologique à la recherche du syndrome d'Allgrove (ou syndrome des 3A) retrouvé dans 50% des cas d'IS chez l'enfant [1] .Dans ce sens, un test de Schirmer a été positif confirmant l'alacrymie, mais sans achalasie qui n'est habituellement retrouvée que dans 75% des cas de syndrome d'Allgrove [1, 2, 6]. L'étude génétique n'a pas été réalisée. Le bilan radiologique a été sans particularité.

Le syndrome d'Allgrove ou syndrome des 3A est une maladie autosomique récessive rare (lié à des mutations du gène AAAs codant la protéine appelée ALADIN), de prédominance masculine, caractérisée par une alacrymie ; la manifestation la plus précoce de la maladie, une insuffisance surrénalienne (adrenal insufficiency) et une achalasie de l''sophage qui reste le trouble le plus fréquemment rencontré après l'alacrymie [10]. Des troubles neurologiques (neurologic abnomalities) peuvent apparaître à un moment variable de l'évolution de la maladie définissant alors pour certains auteurs le syndrome des 4A [1 ,2 ,10].

Le traitement hormonal a pour but de substituer les déficits en cortisol. Pour cet enfant, nous avons constaté la normalisation de l'hémogramme 1 mois après le début du traitement par Hydrocortisone ; une probable hypothèse physiopathologique sur le rôle du cortisol dans l'hématopoïèse reste à vérifier. L'Hydrocortisone comprimé à la dose de 10 mg/m²/j répartie en deux prises [3-5] est le seul traitement disponible en attendant les nouvelles molécules à libération prolongée DuoCort® et ChronoCort® dont le but est l'amélioration de la qualité de vie et la diminution de la morbidité chez les insuffisants surrénaliens [7].

 

 

Conclusion

Même isolée, la mélanodermie doit faire évoquer l'insuffisance surrénale et faire les explorations hormonales nécessaires, afin d'éviter de graves complications. Les insuffisances surrénales primaires auto-immunes sont désormais les plus fréquentes au sein d'un éventail d'étiologies qui se diversifie progressivement (formes génétiques dont le syndrome d'Allgrove ou ADL, sida, tuberculose..). Par ailleurs, les bases du traitement reposent sur la substitution en glucocorticoïdes et si nécessaire en minéralocorticoïdes, ainsi que sur l'éducation du patient qui participe activement à la prévention des accidents aigus.

 

 

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.

 

 

Contributions des auteurs

Tous les auteurs ont contribué à la réalisation de ce travail. Tous ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

 

 

Figures

Figure 1: pigmentation péri buccale

Figure 2: pigmentation de la face dorsale des mains et des plis de flexion palmaires

Figure 3: macules pigmentées au niveau des deux jambes

Figure 4: l'enfant 3 mois après le début du traitement

 

 

Références

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